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Une plus grande flexibilité dans l’embauche et le congédiement des enseignants améliore la qualité de l’éducation

Note économique montrant que les élèves obtiennent de meilleurs résultats lorsque les écoles peuvent organiser leurs activités comme bon leur semble et prendre leurs propres décisions en matière de dotation en personnel

Une plus grande flexibilité dans l’embauche et le congédiement des enseignants améliorerait considérablement la qualité de l’éducation au Québec, note cette étude de l’EDM. Sur 111 000 enseignants québécois, quatre ont été renvoyés pour incompétence au cours des cinq dernières années.

En lien avec cette publication

Entrevue avec Vincent Geloso (Alexandre Dubé, QUB Radio, 24 août 2023) Entrevue (en anglais) avec Vincent Geloso (CTV News Montreal at Noon, CFCF-TV, 6 septembre 2023)

 

Cette Note économique a été préparée par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM, et Vincent Geloso, économiste senior à l’IEDM. La Collection Éducation de l’IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d’améliorer la qualité des services d’éducation.

Il existe une vaste littérature empirique en économie reliant la facilité d’embauche et de congédiement à une plus grande productivité, à des niveaux de revenu plus élevés et à une meilleure qualité des services(1). La raison principale de cette constatation empirique est que les entreprises peuvent se départir des travailleurs qui se révèlent inadaptés à leurs besoins afin de plus facilement en embaucher de nouveaux qui correspondraient mieux à ceux-ci.

Peu de gens nient l’importance de ce mécanisme. Pourtant, il y a un refus constant de s’appuyer sur ce principe pour un groupe particulier de travailleurs au Québec : les enseignants. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement provincial a envisagé de nombreux projets de réforme pour tenter d’améliorer la qualité de l’enseignement dans les écoles primaires et secondaires du Québec. On a beaucoup discuté de la taille des classes, de l’évaluation des enseignants, d’un ordre professionnel d’enseignants, des règles de qualification plus strictes et des primes de rendement, mais la possibilité de décentraliser l’administration scolaire et de faciliter l’embauche et le congédiement des enseignants a rarement été évoquée.

L’importance de la flexibilité dans l’embauche et le congédiement

Tout le monde convient du fait qu’il est important d’avoir de bons enseignants. Cependant, compte tenu de la série d’autres facteurs pertinents tels que la taille de la classe, les ressources éducatives et les contraintes du programme d’études, l’importance qu’on doit accorder à ce facteur est moins évident. Par exemple, on pourrait soutenir qu’un enseignant ayant une classe de cinquante élèves est peu susceptible d’offrir une performance satisfaisante, quel que soit son niveau de compétence.

Néanmoins, une constatation récurrente des études empiriques est que la taille de la classe et les dépenses par élève ont des effets relativement faibles sur le rendement des élèves(2). La compétence des enseignants l’emporte largement sur ces facteurs(3). Une étude souvent citée en exemple(4) révèle que l’effet sur les résultats scolaires de l’amélioration d’un écart-type de la compétence des enseignants est bien plus important qu’une réduction de la taille des classes de dix élèves (une réduction de 33 % au secondaire dans le cas du Québec)(5). Cela est également un déterminant plus fort des résultats des élèves plus tard dans leur vie, comme les revenus à l’âge adulte et les niveaux d’études supérieures(6).

Un administrateur scolaire qui préfère éviter le long processus d’obtention d’un congédiement pourrait tolérer un enseignant peu performant.

Cependant, on ne peut pas bien mesurer la compétence des enseignants en se basant sur des qualifications formelles telles que les diplômes(7), et la plupart des qualités qui constituent la compétence – comme la motivation, la créativité, l’adaptabilité – ne peuvent pas être facilement évaluées au moment de l’embauche. En outre, il y a une tendance à y avoir un certain « bruit » statistique dans les évaluations au cours des premières années de carrière des enseignants à mesure qu’ils s’habituent à leur travail. Un enseignant qui peine à s’adapter dans les premiers mois au travail est difficile à distinguer d’un enseignant faisant preuve d’incompétence. Ce n’est qu’après quelques années d’expérience que la compétence peut être évaluée de manière plus fiable(8).

Ces difficultés laissent croire qu’il serait préférable d’embaucher des enseignants et de les observer pendant un certain nombre d’années pour ensuite garder ceux dont la performance est la meilleure(9). Toutefois, cela ne suffit pas à garantir la compétence, car les enseignants retenus qui bénéficient d’une sécurité d’emploi risquent d’être peu incités à continuer à s’améliorer ou à s’adapter(10). Pour assurer la compétence des enseignants, il faut donc permettre un recrutement et un congédiement plus faciles.

La difficulté d’embaucher et de congédier des enseignants au Québec

Il existe plusieurs obstacles à l’embauche et au congédiement des enseignants au Québec. Par exemple, on trouve de nombreuses restrictions à l’embauche de personnes possédant des diplômes hautement spécialisés qui souhaitent devenir enseignants. Par ailleurs, les immigrants qualifiés (à l’exception de ceux originaires de France) sont également confrontés à des restrictions en ce qui concerne la reconnaissance de leurs compétences(11), ceci malgré les plaintes récurrentes concernant la pénurie d’enseignants dans la province. De plus, les décisions d’embauche ne sont pas prises au niveau des écoles, mais plutôt à celui plus centralisé des centres de services scolaires, loin de l’endroit où les répercussions de ces décisions se font sentir(12).

Plus problématiques, cependant, sont les nombreux obstacles qui existent pour se départir des enseignants incompétents ou autrement inadaptés. D’abord et avant tout, les conventions collectives locales signées entre les syndicats d’enseignants et le gouvernement provincial précisent des procédures très élaborées et compliquées pour évaluer les compétences, accorder la sécurité d’emploi et demander le congédiement(13).

Les accords locaux prévoient des procédures d’évaluation des performances avant d’accorder la sécurité d’emploi. Cependant, une fois ces procédures accomplies, il n’y a guère d’autres évaluations formelles(14). Les enseignants ne sont pas évalués en fonction de l’amélioration des résultats des élèves ou en fonction de la difficulté du contenu qu’ils enseignent ou encore des groupes à qui ils enseignent.

De 2018 à 2023, environ 0,0036 % des enseignants ont été congédiés pour incompétence. Ce nombre est invraisemblable.

Il existe un processus de « supervision pédagogique » pour les enseignants à problèmes. Cependant, il est largement inefficace. Premièrement, il offre des lignes directrices très subjectives sans pénalité pour l’enseignant(15). Deuxièmement, le processus d’obtention d’un congédiement est long et difficile. La proposition de congédiement doit être formellement documentée. Elle peut ensuite être contestée par le syndicat de l’enseignant, puis s’ensuivent les délibérations. Chaque étape du processus nécessite une documentation additionnelle, et les cas de congédiement s’étirent généralement pendant des mois, souvent des années.

Ainsi, un administrateur scolaire qui préfère éviter le long processus d’obtention d’un congédiement pourrait tolérer un enseignant peu performant qui n’est pas grossièrement incompétent (mais qui est suffisamment incompétent pour compromettre gravement les résultats scolaires). Pour ce faire, les grilles bureaucratiques d’analyse produites par le ministère de l’Éducation peuvent être interprétées de façon libérale. Dans d’autres cas, un enseignant peu performant pourrait simplement se voir attribuer d’autres fonctions(16).

Ces difficultés sont évidentes lorsque nous examinons les données. En 2016, l’IEDM a envoyé des demandes d’accès à l’information sur les congédiements à toutes les commissions scolaires du Québec, la première demande de ce genre à l’échelle de la province(17). La grande majorité des commissions scolaires ont fourni des réponses concernant les congédiements entre 2010 et 2015. Sur toute la période, seulement 58 enseignants ont été congédiés, et seulement 7 de ces congédiements étaient pour incompétence. En proportion de l’ensemble des enseignants, cela signifie que 0,007 % des enseignants ont été congédiés pour incompétence, ce qui laisse entendre que moins d’un enseignant sur 10 000 est incompétent. C’est bien sûr très invraisemblable, surtout si l’on tient compte du fait que le Québec a l’un des taux d’achèvement des études secondaires les plus faibles au Canada(18).

Nous avons répété cet exercice pour la période allant de 2018 à 2023 et constaté que ces résultats précédents ne constituaient pas une anomalie. Comme le montre la Figure 1, le nombre total de congédiements est en fait tombé à 52 au cours de cette dernière période, tandis que le nombre rapporté d’enseignants congédiés pour incompétence est tombé à 4. Étant donné qu’il y a plus de 111 000 enseignants dans la province (dont plus de 60 000 sont permanents), cela signifie qu’environ 0,0036 % des enseignants ont été congédiés pour incompétence(19). Ce nombre est, une fois de plus, invraisemblable.

Décentralisation et concurrence

La suppression des obstacles bureaucratiques à l’embauche et au congédiement est la meilleure façon d’améliorer la performance de l’enseignement. La seule interrogation est de savoir comment procéder. L’embauche et le congédiement selon les normes provinciales ne sont pas la meilleure approche. Comme il y a des différences importantes dans les populations desservies par les différentes écoles, la notion de compétence est dans une certaine mesure relative au contexte social(20). Un enseignant très compétent pourrait ne pas convenir pour enseigner dans un endroit, mais exceller dans un autre(21). Cela suggère la nécessité d’un système plus décentralisé dans lequel les écoles conservent davantage de pouvoirs pour organiser leurs activités comme bon leur semble et prendre leurs propres décisions en matière de dotation en personnel.

Les élèves obtiennent de meilleurs résultats lorsque les écoles jouissent d’une plus grande autonomie en matière de personnel et d’administration quotidienne.

Les résultats de la décentralisation sont généralement positifs, les analyses entre pays montrant que les élèves obtiennent de meilleurs résultats lorsque les écoles jouissent d’une plus grande autonomie en matière de personnel et d’administration quotidienne(22). Une étude qui mérite d’être mise en évidence concerne la situation en Norvège, où les districts scolaires peuvent choisir de décentraliser les décisions d’embauche. Les districts qui ont décentralisé les décisions d’embauche et de congédiement ont montré des niveaux plus élevés d’efficacité et une meilleure performance des élèves(23). De plus, puisque ce pays scandinave a un système d’éducation très centralisé en général, ses efforts de décentralisation fournissent des constats qui devraient être applicables au système assez centralisé du Québec.

Les avantages de la décentralisation scolaire pourraient être encore accrus si le financement des écoles était lié au choix des parents. En effet, les décisions des parents d’envoyer leurs enfants dans une école en particulier plutôt qu’une autre permettent aux administrateurs scolaires de savoir s’ils font du bon travail(24). Cela les incite davantage à prendre les meilleures décisions possibles en matière de dotation de personnel.

Le gouvernement provincial devrait faire ce qu’il peut pour soutenir une éducation de qualité pour les élèves du Québec. La recherche indique que cet objectif nécessite de permettre aux administrateurs scolaires de prendre leurs propres décisions d’embauche et de congédiement, et de leur donner toutes les raisons d’effectuer des choix judicieux.

Références

  1. Horst Feldmann, « The effects of hiring and firing regulation on unemployment and employment: evidence based on survey data », Applied Economics, vol. 41, no 19, 2009, p. 2389-2401; Giuseppe Bertola, « Job security, employment and wages », European Economic Review, vol. 34, no 4, 1990, p. 851-879; Paolo Sestito et Eliana Viviano, « Firing costs and firm hiring: evidence from an Italian reform », Economic Policy, vol. 33, no 93, janvier 2018, p. 101-130; Hernan J. Moscoso Boedo et Toshihiko Mukoyama, « Evaluating the effects of entry regulations and firing costs on international income differences », Journal of Economic Growth, vol. 17, no 2, juin 2012, p. 143-170.
  2. Eric A. Hanushek, « The failure of input‐based schooling policies », Economic Journal, vol. 113, no 485, février 2003, p. F64-F98; Desire Kedagni et al., « Does class size matter? How, and at what cost? », European Economic Review, vol. 133, avril 2021.
  3. Steven G. Rivkin, Eric A. Hanushek et John F. Kain, « Teachers, schools, and academic achievement », Econometrica, vol. 73, no 2, mars 2005, p. 417-458.
  4. Ibid., p. 417.
  5. Derek J. Allison, Secondary Class Sizes and Student Performance in Canada, Institut Fraser, septembre 2019, p. 9.
  6. Dan Goldhaber, Roddy Theobald et Danielle Fumia, « The role of teachers and schools in explaining STEM outcome gaps », Social Science Research, vol. 105, juillet 2022; Raj Chetty, John N. Friedman et Jonah E. Rockoff, « Measuring the impacts of teachers II: Teacher value-added and student outcomes in adulthood », American Economic Review, vol. 104, no 9, septembre 2014, p. 2633-2679.
  7. Jonah E. Rockoff, « The impact of individual teachers on student achievement: Evidence from panel data », American Economic Review, vol. 94, no 2, mai 2004, p. 247-252.
  8. Douglas O. Staiger et Jonah E. Rockoff, « Searching for effective teachers with imperfect information », Journal of Economic Perspectives, vol. 24, no 3, 2010, p. 97-118.
  9. Ibid., p. 97.
  10. Randall Reback, Jonah Rockoff et Heather L. Schwartz, « Under pressure: Job security, resource allocation, and productivity in schools under No Child Left Behind », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 6. no 3, août 2014, p. 207-241; Matthew A. Kraft et al., « Teacher accountability reforms and the supply and quality of new teachers », Journal of Public Economics, vol. 188, août 2020; Nathan Barrett, Katharine O. Strunk et Jane Lincove, « When tenure ends: the short-run effects of the elimination of Louisiana’s teacher employment protections on teacher exit and retirement », Education Economics, vol. 29, no 6, novembre 2021, p. 559-579.
  11. Marie-Eve Morasse, « Profs sans brevet cherchent voie rapide », La Presse, 14 décembre 2022; Gouvernement du Québec, Diplômes et documents de titularisation reconnus pour les enseignants provenant de France, consulté le 12 juillet 2023.
  12. Gouvernement du Québec, Entente intervenue entre d’une part, le Comité patronal de négociation pour les centres de services scolaires francophones (CPNCF) et d’autre part, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) pour le compte des syndicats d’enseignantes et d’enseignants qu’elle représente, 2021, article 5-1.02.
  13. Ibid., article 5-7.00.
  14. Nathan Béchard et Marthe Hurteau, « Évaluation des enseignants permanents du secondaire au Québec : quelle démarche préconiser selon des enseignants et des directeurs d’école? » Formation et profession, vol. 28, no 3, 2020, p. 18-35.
  15. Ibid.; Ministère de l’Éducation du Québec, La formation à l’enseignement : les orientations, les compétences professionnelles, 2001.
  16. Daniel Leblanc, « Le congédiement d’un enseignant est extrêmement rare », Le Droit, 12 juin 2023.
  17. Youri Chassin, « Valoriser la profession enseignante en congédiant les enseignants incompétents », Note économique, IEDM, janvier 2016.
  18. Nikola Elez et Klarka Zeman, « Taux d’obtention du diplôme d’études secondaires au Canada, années scolaires 2016-2017 à 2019-2020 », Indicateurs de l’éducation au Canada : feuillet d’information, Statistique Canada, 20 octobre 2022.
  19. Le Vérificateur général du Québec, Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2022-2023, « Chapitre 3 : Personnel enseignant : recrutement, rétention et qualité de l’enseignement », mai 2023, p. 16.
  20. Huriya Jabbar, « Recruiting “talent”: School choice and teacher hiring in New Orleans », Educational Administration Quarterly, vol. 54, no 1, juillet 2017, p. 115-151; John Bishop et Ludger Wossmann, « Institutional effects in a simple model of educational production », Education Economics, vol. 12, no 1, 2004, p. 17-38.
  21. C’est l’une des raisons pour lesquelles la littérature empirique tend à constater que des variables comme l’éducation formelle et l’expérience d’un enseignant ont peu de pouvoir prédictif en ce qui concerne les résultats scolaires.
  22. Ludger Wößmann, « Schooling resources, educational institutions and student performance: the international evidence », Oxford Bulletin of Economics and Statistics, vol. 65, no 2, mai 2003, p. 117-170.
  23. Linn Renée Naper, « Teacher hiring practices and educational efficiency », Economics of Education Review, vol. 29, no 4, août 2010, p. 658-668.
  24. Vincent Geloso, « Amélioration des résultats en éducation : il faut plus de choix, et non plus de dépenses », Note économique, IEDM, août 2022.
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