fbpx

Publications

Perspectives internationales sur la santé: une comparaison des soins primaires au Canada, en Allemagne et aux Pays-Bas

Cahier de recherche proposant des réformes pour offrir un plus grand choix aux patients, augmenter la flexibilité des prestataires de soins et permettre d’améliorer l’accès aux services de soins primaires pour les Canadiens

En lien avec cette publication

Près d’un million de visites inutiles aux urgences (Le Soleil, 31 octobre 2024) Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Midi Pile, KYK Radio, 31 octobre 2024)

 

Ce Cahier de recherche a été préparé par Krystle Wittevrongel, directrice de la Recherche à l’IEDM, et Conrad Eder, analyste en politiques publiques à l’IEDM, en collaboration avec Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM.

Points saillants

Un système de santé qui fonctionne bien se doit d’être disponible, de répondre aux besoins des patients et d’améliorer l’état de santé de la population. Pourtant, le système de soins de santé primaires du Canada n’est pas à la hauteur de son potentiel. En 2023, 14 % des adultes canadiens ne disposaient pas d’un accès régulier à un prestataire de soins primaires ou à un lieu de soins, contre seulement 1 % de la population néerlandaise et 4 % de la population allemande. Pour les Canadiens qui bénéficiaient d’un tel accès, près des 3/4 n’étaient pas en mesure d’obtenir un rendez-vous en temps opportun. Pour améliorer l’accès aux soins primaires, il est impératif de s’inspirer des systèmes les plus performants, notamment des systèmes allemand et néerlandais.

Chapitre 1 – L’importance d’un système de soins primaires performant

  • Les soins primaires sont un rouage essentiel des systèmes de santé, et il a été démontré que des soins primaires accessibles peuvent nous permettre de vivre plus longtemps et d’éviter les invalidités et les maladies.
  • En outre, comme les soins primaires peuvent remplacer d’autres formes de soins de santé et qu’ils sont comparativement moins coûteux, un accès rapide à ces soins peut également contribuer à réduire les coûts totaux du système de santé.
  • 46 % des Canadiens qui disposaient d’un accès à un prestataire de soins primaires ou à un endroit où obtenir des soins ont attendu six jours ou plus pour obtenir un rendez-vous, contre seuls 26 % des patients allemands et 13 % des patients néerlandais.
  • Le manque d’accessibilité ne semble pas être une question de financement. Les dépenses canadiennes en matière de soins primaires sont comparables à celles de l’Allemagne et des Pays-Bas, quoiqu’avec des résultats inférieurs.
  • Faute de pouvoir accéder en temps opportun aux soins primaires, les patients finissent souvent aux urgences : 30 % des visites aux urgences au Canada entre avril 2022 et mars 2023 concernaient des problèmes non urgents ou moins urgents.
  • Non seulement ces visites inutiles aux urgences alourdissent-elles les coûts du système de santé, mais elles contribuent également à allonger les temps d’attente aux urgences, laissant les patients languir et entraînant des complications supplémentaires.
  • Outre les retards dans l’accès aux soins, les longs temps d’attente aux urgences peuvent faire en sorte que les patients quittent sans avoir été examinés. Au Québec en 2022-2023, 11,5 % des patients qui ont fréquenté une salle d’urgence sont partis sans être traités, dont plus d’un quart étaient jugés urgents.

Chapitre 2 – Les différences clés qui favorisent l’accès aux soins primaires en Allemagne et aux Pays-Bas

  • Les systèmes allemand et néerlandais permettent un plus grand choix pour les patients et les prestataires, une meilleure flexibilité du système et une concurrence accrue, de sorte que l’accès aux soins primaires y est plus facile qu’au Canada.
  • La particularité du système canadien est que les patients assurés et les professionnels de la santé sont tributaires d’un système public à payeur unique pour les soins de santé médicalement nécessaires, sans pouvoir choisir leur assureur ou leur régime d’assurance.
  • Cette situation contraste fortement avec celle de l’Allemagne et des Pays-Bas, où il existe un grand nombre d’assureurs parmi lesquels choisir, favorisant l’amélioration de la qualité des services ainsi que l’élargissement des avantages dans le but d’attirer et de fidéliser les clients.
  • La possibilité de choisir (et de changer) d’assureur fait en sorte que les patients participent activement aux décisions concernant leurs soins de santé, ce qui augmente leur satisfaction.
  • Bien que l’objectif d’un système très strict en matière de contrôle d’accès comme celui du Canada soit de réduire les dépenses, cela aboutit en fin de compte à un transfert des coûts vers le patient en augmentant les charges physiques, psychologiques et sociales causées par l’attente des soins spécialisés.
  • Les systèmes de santé allemand et néerlandais laissent aux patients un plus grand choix quant à la manière d’accéder aux soins spécialisés, ce qui a un effet positif direct sur leur accès aux soins primaires.
  • La position du Canada visant à décourager fortement la pratique mixte est une exception au sein des pays les plus développés. Parmi les autres pays à revenu élevé dotés d’un système de santé universel, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, ce type de réglementation est pratiquement inexistant.
  • La pratique mixte est importante, dans la mesure où elle permet une plus grande flexibilité pour les prestataires de soins primaires et un meilleur accès pour les patients.

Chapitre 3 – Recommandations en matière de politiques publiques pour améliorer l’accès des Canadiens aux soins primaires

Ces réformes pour accroître l’accès des Canadiens aux soins primaires, bien qu’ambitieuses, portent sur l’administration et la prestation des services de santé, et leur mise en œuvre relève entièrement de la compétence des provinces.

  • Recommandation 1 – Permettre l’assurance privée duplicative. Autoriser l’assurance privée duplicative au Canada permettrait d’introduire une certaine concurrence et une liberté de choix pour les patients, qui sont actuellement inexistantes.
  • Recommandation 2 – Supprimer le contrôle de l’accès aux spécialistes. Les provinces canadiennes devraient assouplir leurs exigences en matière de contrôle d’accès et permettre aux patients de consulter un spécialiste sans passer par un médecin.
  • Recommandation 3 – Autoriser la pratique mixte pour les travailleurs de la santé. Si l’on permet aux professionnels de la santé de partager leur temps entre le secteur public et le secteur privé, cela permettrait une utilisation plus efficace des ressources limitées.

L’Allemagne et les Pays-Bas ont été en mesure de préserver une couverture universelle en matière de soins de santé et un accès aux soins primaires, tout en relevant les défis auxquels le système canadien est confronté, tels que les temps d’attente et l’allocation des ressources. Les changements proposés offriraient un plus grand choix aux patients, augmenteraient la flexibilité des prestataires de soins de santé et permettraient d’améliorer l’accès général aux services de soins primaires pour les Canadiens. Alors que les temps d’attente continuent de s’allonger et que les problèmes d’accès persistent, il est impératif que les gouvernements provinciaux agissent pour mettre en œuvre une réforme significative des soins de santé, dans l’intérêt de tous les Canadiens.

Introduction

Un système de santé qui fonctionne bien se doit d’être disponible, de répondre aux besoins des patients et d’améliorer l’état de santé de la population. Les soins primaires sont essentiels à l’atteinte de ces objectifs. Ces soins regroupent les services offerts par un éventail de prestataires qui interviennent souvent en tant que première ligne de défense en matière de soins de santé, c’est-à-dire le premier point de contact d’un patient avec le système de santé.

Les soins primaires sont généralement dispensés en externe, notamment dans les cliniques communautaires, les cliniques de soins primaires ou les cliniques privées. Il s’agit généralement de soins visant à prévenir, diagnostiquer, traiter et gérer un large éventail de conditions et de maladies, ainsi qu’à promouvoir la santé.

Les prestataires de soins primaires se chargent souvent de coordonner les soins et d’orienter leurs patients vers des spécialistes si nécessaire. Bien que certains patients puissent solliciter des services relevant des soins primaires ailleurs que dans un service de consultation externe, comme dans un service d’urgence, surtout s’ils n’ont pas accès à un prestataire de soins primaires habituel, ce type de soins hospitaliers n’est pas considéré comme relevant des soins primaires aux fins de notre analyse, même s’il s’agit de soins de première ligne. Cela s’explique par le fait que la vocation des urgences est de répondre à des situations graves, urgentes ou critiques et qu’elles ne sont pas conçues pour dispenser des soins de première ligne. Même si les urgences peuvent dispenser des soins immédiats pour des situations non urgentes, ce n’est pas leur fonction première.

Il existe un consensus quasi universel sur l’importance des soins primaires et sur les avantages considérables qu’ils peuvent procurer, tant aux Canadiens qu’à l’ensemble du système de santé qui les prend en charge(1). Pourtant, le système de soins de santé primaires du Canada n’est pas à la hauteur de son potentiel. En 2023, 14 % des adultes canadiens ne disposaient pas d’un accès régulier à un prestataire de soins primaires ou à un endroit où obtenir des soins(2). Pour ceux et celles qui bénéficiaient d’un tel accès, près des trois quarts n’étaient pas en mesure d’obtenir un rendez-vous en temps opportun(3).

Cette situation fait pâle figure par rapport à d’autres systèmes de santé universels hautement performants dans des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, où les patients bénéficient d’un meilleur accès aux soins primaires. En fait, seuls 14 % des Allemands et 1 % des Néerlandais ne disposaient pas d’un accès régulier à un prestataire de soins primaires ou un endroit où obtenir des soins, soit une fraction de la proportion observée au Canada(4). Pour ce qui est de la rapidité, 51 % des patients allemands et 54 % des patients néerlandais pouvaient obtenir un rendez-vous le jour même ou le lendemain, soit le double de la proportion de Canadiens(5).

Pour améliorer l’accès aux soins primaires, il est impératif de s’inspirer des systèmes les plus performants, notamment des systèmes allemand et néerlandais. Cela permettra aux décideurs canadiens d’orienter les améliorations des politiques de santé de manière à mieux répondre aux besoins de la population et de concevoir des systèmes qui optimisent la prestation des soins primaires.

Ce cahier de recherche explore les soins primaires et les différences entre les systèmes de ces trois pays. Le chapitre 1 explique l’importance des soins primaires et présente les différences qui existent entre le Canada, l’Allemagne et les Pays-Bas sur le plan de la performance. La sous-performance du système de soins primaires canadien a un effet d’entraînement qui se répercute sur l’ensemble du système de santé. Cette comparaison forme la base de notre analyse et, par conséquent, de notre plaidoyer en faveur du changement.

Le chapitre 2 souligne trois différences clés entre les modèles dans ces trois pays sur le plan de leur incidence sur l’accès d’un patient aux soins primaires. Celles-ci concernent notamment les modalités de financement des systèmes (et, par extension, des soins primaires), la manière dont les patients peuvent accéder aux soins spécialisés (contrôle d’accès par les prestataires de soins primaires) et les modalités selon lesquelles les professionnels de la santé sont autorisés à travailler simultanément dans le secteur public et dans le secteur privé (ce qui permet une pratique mixte ou double). Ces différences se répercutent sur les choix des patients, sur les choix des prestataires, ainsi que sur leur liberté, tout en exerçant une pression plus ou moins forte sur les soins de santé primaires. Malgré leurs différences, le Canada, l’Allemagne et les Pays-Bas ont tous pour objectif d’offrir un accès universel aux soins primaires, peu importe les revenus du patient.

Le chapitre 3 propose des recommandations pratiques qui peuvent être appliquées au système de santé canadien afin d’améliorer l’accès aux soins primaires. Nos recommandations pragmatiques sont non seulement susceptibles d’améliorer l’accès aux soins primaires pour les Canadiens et les Canadiennes, mais elles ont également le potentiel de contribuer à la réduction des invalidités et des maladies, ainsi qu’à la diminution des dépenses du système de santé.

Lire le Cahier de recherche (format PDF)

Références

  1. Roy J. Romanow, « Guidé par nos valeurs : l’avenir des soins de santé au Canada », Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada, novembre 2002, p. 115.
  2. C’est ce que l’on appelle souvent le taux d’attachement. Institut canadien d’information sur la santé, « Résultats du Canada : Enquête de 2023 du Fonds du Commonwealth sur les politiques de santé réalisé auprès de la population générale de 18 ans et plus dans 10 pays – tableaux de données », Question 11, 2024. Les 86 % de Canadiens ayant accès aux soins de santé comprennent les 13 % qui déclarent avoir un endroit où obtenir des soins régulier et les 73 % qui déclarent avoir un médecin, un omnipraticien, une infirmière praticienne ou un adjoint au médecin habituel. Des données plus récentes existent, mais elles sont incomplètes pour toutes les provinces.
  3. La notion de « temps opportun » fait ici référence à un rendez-vous le jour même ou le lendemain, et seulement 26 % des répondants ont pu l’obtenir. Ce chiffre exclut les répondants qui n’ont pas eu besoin de prendre rendez-vous pour voir un médecin ou une infirmière, qui n’ont jamais pu prendre rendez-vous ou qui se sont rendus au service des urgences d’un hôpital, dans une clinique ou un établissement de soins d’urgence au lieu de prendre rendez-vous. Institut canadien d’information sur la santé, « Résultats du Canada : Enquête de 2023 du Fonds du Commonwealth sur les politiques de santé réalisé auprès de la population générale de 18 ans et plus dans 10 pays – tableaux de données », Question 9, 2024.
  4. Les 96 % d’Allemands qui déclarent y avoir accès comprennent les 8 % qui déclarent disposer d’un lieu de soins régulier et les 88 % qui déclarent avoir un médecin/médecin généraliste/infirmière praticienne/assistant médical habituel. Pour les 99 % de Néerlandais, ces chiffres sont respectivement de 12 % et 87 %. Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 2.
  5. Cette proportion exclut les répondants qui n’ont pas eu besoin de prendre rendez-vous pour voir un médecin ou une infirmière, qui n’ont jamais pu prendre rendez-vous ou qui se sont rendus au service des urgences d’un hôpital, dans une clinique ou un établissement de soins d’urgence au lieu de prendre rendez-vous. Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 3.
Back to top