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Les Québécois ne devraient pas devoir quitter l’urgence avant d’avoir été soignés

Point montrant que plus de patients quittent l’urgence sans traitement, et davantage d’entre eux quittent avec des problèmes de santé urgents

En lien avec cette publication

De plus en plus de patients quittent l’urgence sans avoir été pris en charge (Le Devoir, 20 juin 2024)

Number of patients leaving Quebec emergency departments before being seen on the rise (CTV News, 20 juin 2024)

Quebec health system in crisis as patients walk out of emergency rooms untreated (True North, 24 juin 2024)

Money alone won’t fix Quebec’s health-care crisis (Montreal Gazette, 27 juin 2024)

Des patients plus découragés que jamais (Le Soleil, 27 juin 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Midi actualité, 107,7 FM, 20 juin 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Sans réserve, 98,5 FM, 20 juin 2024)

Entrevue avec Emmanuelle B. Faubert (Jean-François Baril, QUB Radio, 20 juin 2024)

Entrevue (en anglais) avec Emmanuelle B. Faubert (The Elias Makos Show, CJAD-AM, 1er juillet 2024)

Entrevue (en anglais) avec Emmanuelle B. Faubert (Global News, 20 juin 2024)

 

Ce Point a été préparé par Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’entrepreneuriat permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Alors que l’attente aux urgences du Québec ne cesse de s’allonger, il n’est pas étonnant qu’un nombre important de patients les quittent avant d’avoir été pris en charge. Un tel phénomène témoigne de défaillances majeures dans le système de santé.

Double défaillance du système de santé québécois

En 2023-2024, sur presque 11 mois, 3 265 349 patients se sont présentés aux urgences du Québec(1). De ce nombre, 376 460, soit 11,5 %, en sont repartis avant d’avoir été pris en charge par un travailleur de la santé(2). Quotidiennement, ce sont 1140 Québécois qui ont été ainsi abandonnés par le système.

En comparaison, 378 438 Québécois étaient dans cette situation cinq ans plus tôt, en 2018-2019(3). La situation en 2023-2024, après 11 mois, était donc similaire aux résultats de l’ensemble de l’année 2018-2019. Ceci démontre que la situation est loin de s’améliorer.

La défaillance la plus grave concerne les 103 715 patients de catégories P1, P2 et P3 qui correspondent à des cas urgents (voir la Figure 1), en particulier les deux premières qui dénotent des problèmes de santé très urgents(4). Dans ces conditions où leur vie est en danger, ces patients nécessitent une prise en charge rapide.

La proportion de ces patients catégorisés P1 à P3 a d’ailleurs augmenté comparativement à la situation prépandémique. Alors qu’elle était déjà de 21,9 % en 2018-2019, elle est passée à 27,5 % en 2023-2024. Donc, non seulement plus de patients quittent-ils l’urgence sans traitement aujourd’hui, mais davantage d’entre eux ont des problèmes de santé urgents.

La deuxième défaillance mise en évidence par les données concerne le manque d’accès aux soins de première ligne, particulièrement pour le 70 % des patients catégorisés P4 et P5 ayant quitté l’urgence avant leur prise en charge. Il s’agit de cas mineurs ou ne nécessitant pas une prise en charge immédiate(5).

Cette situation n’est pas surprenante puisque, en théorie, une grande partie de ces cas pourraient être pris en charge par des professionnels de la santé autres que les urgentologues. C’est notamment le cas des 84 966 patients de priorité 5, qui n’avaient pas de problème de santé urgent au moment de se présenter aux urgences. Cependant, étant repartis sans recevoir de soins, un certain nombre d’entre eux risquent d’y revenir avec un état de santé aggravé.

Une partie de ce problème découle du fait que des centaines de milliers de Québécois n’ont pas accès à un médecin de famille et n’ont d’autre choix que de se rendre aux urgences, même pour un problème de santé mineur, lorsque toutes les autres options ont été épuisées. En janvier 2024, 642 047 Québécois étaient inscrits sur une liste d’attente pour trouver un médecin de famille(6). En assurant aux patients orphelins un accès aux soins de première ligne, bon nombre de visites aux urgences pourraient être évitées.

Pistes de solutions

Cette défaillance des soins de première ligne nécessite des solutions à l’extérieur du système hospitalier. Par exemple, les cliniques d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS) peuvent jouer un rôle important dans l’amélioration de l’accès aux soins pour les Québécois. La province en compte déjà 11 et, depuis le 15 avril 2024, ces cliniques peuvent soigner des patients inscrits au GAMF. Leur nombre devrait doubler d’ici 2028(7), mais pourquoi ne pas accélérer la cadence pour combler les besoins criants qui l’on constate aujourd’hui?

Quant à l’incapacité des urgences à soigner plus rapidement les patients présentant des problèmes urgents, une réflexion sur la gestion de nos hôpitaux s’impose. La mise en place du financement à l’activité, déjà entamé au Québec pour certaines procédures, devrait elle aussi être hâtée. De cette manière, chaque patient devient une source de revenus plutôt qu’une source de coûts, incitant les administrateurs d’hôpitaux à traiter davantage de patients(8).

Il faut aussi augmenter les capacités de soins d’urgence, notamment par des entités indépendantes, comme l’a fait la Suède avec l’hôpital Saint Göran à Stockholm, un hôpital financé par le système universel, mais géré de façon indépendante(9). Le succès de Saint Göran repose, entre autres, sur sa décentralisation, qui donne aux gestionnaires une flexibilité organisationnelle axée sur les besoins des patients. À cela s’ajoutent des mesures fréquentes de la performance, ce qui permet d’évaluer la productivité ainsi que la satisfaction des patients.

La concurrence entre les points d’accès aux soins est aussi un élément clé. À la différence d’un monopole, la concurrence favorise l’innovation et l’amélioration continue. La possibilité de réaliser des profits dans un contexte concurrentiel incite les entrepreneurs à augmenter leur productivité, afin de soigner davantage de patients avec les ressources à leur disposition. Cela profite également aux patients, qui passent moins de temps à l’urgence.

Afin de réduire le nombre de patients qui quittent les urgences avant d’être pris en charge, il est essentiel d’opérer un changement de cap et de s’ouvrir davantage à l’entrepreneuriat et à l’innovation en santé.

Références

  1. Les données ont été colligées du 1er avril 2023 au 24 février 2024.Ministère de la Santé et des Services sociaux, demande d’accès à l’information, mars 2024.
  2. Calculs de l’auteure. Cette proportion monte à 12,5 % lorsque les patients ayant été redirigés sont exclus du total de 3 265 349.
  3. Patrick Déry, « Urgences : quand les patients repartent sans être soignés », IEDM, Point, janvier 2020.
  4. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Soins et services, Services pour tous, Urgence, Triage à l’urgence, consulté le 20 mai 2024.
  5. Idem.
  6. Cela correspond au nombre d’inscrits au Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF). Régie de l’assurance maladie du Québec, Évolution du nombre de personnes inscrites au Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) selon leur statut, 2018 à 2024, 25 janvier 2024.
  7. Gouvernement du Québec, Santé, Système et services de santé, organisation des services, Infirmières praticiennes spécialisées, Clinique publique d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS), 15 avril 2024; Ministère de la Santé et des Services sociaux, Professionnels, Soins infirmiers, Infirmières praticiennes spécialisées, 15 avril 2024.
  8. Krystle Wittevrongel, « Financement à l’activité des hôpitaux en Alberta : les exemples du Québec et de l’Australie », IEDM, Note économique, avril 2024, p. 2-3.
  9. Cette approche est répandue dans les autres pays de l’OCDE. Patrick Déry et Jasmin Guénette, « Saint Göran : un hôpital concurrentiel dans un système universel », IEDM, Note économique, octobre 2017.
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