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Textes d'opinion

Les déboires de Northvolt: une mise en garde contre la politique industrielle risquée du Canada

Oyez, oyez! C’est le début d’une ère nouvelle en matière de politique industrielle au Canada!

Les gouvernements de tout le pays ont plaidé en faveur d’une transition nationale vers les véhicules électriques, et ils sont prêts à dépenser de grosses sommes d’argent pour y arriver. En fait, le gouvernement fédéral s’est engagé à ce que tous les véhicules vendus d’ici à 2035 soient zéro émission.

Chéquiers en main, les politiciens ont généreusement distribué des milliards de dollars de fonds publics pour inciter les fabricants de véhicules électriques à s’installer au Canada. À ce jour, les gouvernements du Canada se sont engagés à verser jusqu’à 52,5 milliards $ pour subventionner cette chaîne d’approvisionnement nationale, selon le directeur parlementaire du budget.

Parmi les principaux bénéficiaires, Northvolt, un fabricant suédois de batteries pour véhicules électriques, s’est vu attribuer 7 milliards $ de fonds publics. En échange, une région proche de Saint-Basile-le-Grand et de McMasterville accueillera une toute nouvelle usine de batteries pour véhicules électriques, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.

Dans leurs communiqués de presse, les politiciens proclamaient qu’il s’agissait d’un tournant important pour l’économie du Québec.

Mais moins d’un an après la conclusion de l’accord, il semble que la lune de miel touche à sa fin, alors que Northvolt est confrontée à de graves difficultés financières.

La faible demande pour les véhicules électriques, notamment en Europe, a contraint Northvolt à fermer l’une de ses usines et à mettre à pied 1600 employés. Dans un souci de réduction des coûts, l’entreprise a également annoncé son intention de limiter ses activités à la fabrication de cellules de batterie.

En juin dernier, BMW a annulé une commande de 2 milliards $, faute de pouvoir se procurer les pièces nécessaires auprès de l’entreprise.

Cette annonce avait alors suscité des inquiétudes quant à ses répercussions sur l’usine de la région de Montréal, mais l’entreprise avait rassuré les décideurs politiques en affirmant qu’elle respecterait ses engagements, moyennant quelques ajustements à l’échéancier.

Ces promesses n’ont cependant pas réussi à calmer les inquiétudes à Québec. La semaine dernière, le gouvernement provincial a commencé à évoquer publiquement la possibilité d’annuler l’approvisionnement en électricité de Northvolt si l’entreprise continue à se traîner les pieds dans la construction de l’usine après une certaine date butoir.

Malgré les annonces de l’entreprise, il ne fait aucun doute que des changements sont déjà amorcés. Ce qui était initialement prévu en matière de production pour le Québec est aujourd’hui menacé par les décisions stratégiques qui se dessinent en Suède.

Notamment, Northvolt a abandonné ses activités de production de cathodes en Suède, l’une des activités également prévues dans l’usine de Québec.

Mais comment en sommes-nous arrivés là? Pourquoi les Canadiens doivent-ils aujourd’hui subir les conséquences de la volatilité des entreprises étrangères?

Tout simplement du fait d’une politique industrielle inadaptée.

On entend par politique industrielle les mesures prises par les pouvoirs publics en vue de promouvoir et de soutenir des industries ou des secteurs spécifiques au sein de l’économie. Il peut s’agir notamment de mesures d’intervention dans le secteur manufacturier en vue d’obtenir des résultats économiques donnés, comme la création d’emplois, la hausse des exportations ou la promotion de l’innovation.

Les subventions ne sont qu’un outil parmi tant d’autres. Ainsi, lorsque le gouvernement tente de stimuler la demande pour les voitures électriques, on combine un pari considérable en faveur de la production de véhicules électriques avec un mandat de zéro émission.

Malheureusement, il ne semble pas y avoir de consensus quant à l’efficacité de cette politique industrielle, malgré les milliards que nous y consacrons. Les données probantes sur l’efficacité des instruments agissant sur la demande sont également peu nombreuses.

Ce qui nous ramène à la question de savoir pourquoi les Canadiens doivent aujourd’hui s’inquiéter de la situation financière de ce fabricant suédois.

Tout simplement parce que les gouvernements, se croyant capables de déterminer les gagnants sur le marché, ont lié l’argent des contribuables au destin de Northvolt. De telles subventions obligent les contribuables à assumer les risques liés à une entreprise privée.

Cette décision intervient à un moment où les Canadiens sont de plus en plus sceptiques à l’égard des dépenses publiques.

Selon un sondage IEDM-Ipsos réalisé en juillet dernier, 63 pour cent des Canadiens estiment que le gouvernement fédéral dépense trop. En ce qui concerne la gestion de ces dépenses par le gouvernement, 70 pour cent d’entre eux estiment qu’Ottawa fait piètre figure.

Les subventions accordées aux entreprises du secteur des véhicules électriques s’élèveront à près de 6 milliards $ chaque année. Il s’agit du double des recettes additionnelles provenant de la nouvelle tranche d’imposition introduite par le gouvernement Trudeau en 2016, qui s’élevaient à 2,88 milliards $ cette année.

Les Canadiens devraient pouvoir dépenser cet argent eux-mêmes; s’ils ont envie de parier, qu’ils puissent le faire à leur guise.

Par ailleurs, l’IEDM a constaté que si cette tranche d’imposition supplémentaire n’avait jamais été introduite, et si ces milliards étaient restés dans les poches des Canadiens, quelque 9820 entreprises canadiennes auraient pu voir le jour entre 2016 et 2020. Que Northvolt parvienne ou non à respecter ses engagements, cette saga est révélatrice de la faille fondamentale de toute subvention.

Les gouvernements ne sont pas en mesure de prédire le succès d’une industrie donnée et, lorsqu’ils essaient de le faire, ce sont les contribuables qui se retrouvent à payer les pots cassés.

Les subventions ne garantissent pas la réussite commerciale; elles introduisent une distorsion du marché, en soustrayant les entreprises aux risques qu’elles devraient assumer. Pendant ce temps, les contribuables subissent les contrecoups lorsque les choses tournent mal, comme nous pourrions bien l’apprendre à nos dépens une fois de plus avec Northvolt.

Daniel Dufort est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.

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