fbpx

Publications

Le nouveau fardeau réglementaire des renouvellements hypothécaires

Point montrant comment la Loi visant à moderniser la profession notariale et à favoriser l’accès à la justice réduit la concurrence entre les différents acteurs concernant l’aspect juridique des renouvellements hypothécaires

En lien avec cette publication

Quebec homeowners looking to renew mortgages could soon pay more in notary fees: MEI (CTV News Montreal, 29 août 2024)

Renouvellement hypothécaire: les frais de notaire sur le point d’augmenter grandement au Québec? (Noovo Info, 29 août 2024)

 

Ce Point a été préparé par Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

À la fin 2023, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 34(1) – Loi visant à moderniser la profession notariale et à favoriser l’accès à la justice – qui modifie le processus de renouvellement hypothécaire auprès d’une nouvelle institution financière(2). Selon la Chambre des notaires du Québec(3), l’adoption de cette réforme a éliminé toute concurrence pour ses membres sur les aspects juridiques des renouvellements hypothécaires. Ceci entraîne une pression à la hausse sur les prix de ces services et sur le coût d’une hypothèque, ce qui a pour effet d’aggraver l’inabordabilité du logement.

Une réforme pour supplanter la concurrence

Avant l’adoption de la loi, des entreprises(4) s’étaient spécialisées dans le traitement de dossiers de renouvellement hypothécaire. Elles offraient leurs services au Québec auprès de plusieurs institutions financières(5).

Concrètement, les clients souhaitant renouveler leur hypothèque auprès d’une nouvelle institution pouvaient faire affaire soit avec un notaire, soit avec un centre de traitement employant des professionnels pour remplir les documents nécessaires au renouvellement. Pour cette seconde option, qui engendrait bien souvent moins de coûts, le rôle du notaire se limitait à apposer la signature finale, car le travail administratif était effectué par l’entreprise spécialisée, et ce pour un coût total se situant entre 800 $(6) et 850 $(7).

Depuis l’adoption de la nouvelle loi, cette seconde option n’existe plus. Selon une interprétation de la loi, les centres de traitement ne seraient plus autorisés à effectuer ce travail administratif pour lequel ils se sont spécialisés par le passé, car seuls les notaires peuvent dorénavant rédiger l’intégralité d’un contrat de renouvellement hypothécaire(8) (voir Figure 1).

Cette interprétation défendue par la Chambre des notaires vient bloquer les possibilités autres que l’accès aux services d’un notaire pour le préremplissage des documents de renouvellement hypothécaire. Le service spécialisé des centres de traitement semblait pourtant en forte demande chez les différentes institutions financières, comme l’ont témoigné plusieurs intervenants en commission parlementaire(9).

Cette réduction de la concurrence engendre des frais juridiques relatifs à un renouvellement hypothécaire presque deux fois plus élevés, soit environ 1500 $(10).

Pourquoi le gouvernement du Québec aurait-il supprimé l’option la moins chère pour les consommateurs?

Les justifications mises en avant pour l’attribution aux notaires du monopole de remplissage des documents juridiques lors de renouvellement hypothécaire étaient notamment l’absence de standards de qualité dans les centres de traitement(11). Or, c’est un élément qui semble en contradiction avec le fait que les institutions financières, expertes dans ce type de transactions, faisaient régulièrement affaire avec ces centres. Pourquoi les institutions financières voudraient-elles conclure des ententes avec des entreprises qui offrent un service de mauvaise qualité à leur client?

Pour un secteur concurrentiel qui profite aux consommateurs

Avant l’adoption du projet de loi 34, les consommateurs bénéficiaient d’une concurrence entre les différents acteurs du marché. Les effets positifs étaient clairs : plus de choix pour les institutions financières dans la sélection de partenaires et un meilleur prix pour les consommateurs.

Ce sont donc les consommateurs qui sont perdants dans ce changement législatif, car ils devront essentiellement payer davantage pour un service similaire à celui qu’ils recevaient auparavant.

Aussi, les frais juridiques plus élevés pour un transfert d’hypothèque influenceront l’attitude des consommateurs, et ce, même si une partie de ces frais est payée par l’institution financière qui renouvelle l’hypothèque. En effet, celui qui souhaite transférer son hypothèque vers un prêteur virtuel(12) avec un taux plus bas que son institution financière traditionnelle pourrait décider de ne pas aller de l’avant, car des centaines de dollars additionnels lui seront potentiellement facturés. La raison est simple : certains notaires font payer davantage les consommateurs lorsque ceux-ci décident de se diriger vers ce type de prêteurs non traditionnels(13).

Dans un contexte de taux d’intérêt élevés, le gouvernement devrait s’assurer que les détenteurs d’une hypothèque qui devront renouveler leur prêt ne soient pas confrontés à des obstacles législatifs afin d’obtenir le meilleur taux d’intérêt, et ce, au plus faible coût possible.

Recherche de rente

L’obtention par un groupe d’intérêt d’un monopole qui lui apporte des avantages pécuniaires évidents de la part du législateur, dans ce cas-ci au profit des associations de notaires, notamment la Chambre des notaires, et au détriment des centres de traitement spécialisés, est un bon exemple d’un comportement de « recherche de rente ».

Or, la théorie économique souligne que cette recherche de rente entraîne des coûts sociaux(14) : lorsque le gouvernement aide une minorité – les notaires –, cela se fait aux dépens des acteurs économiques de l’écosystème concerné, en l’occurrence les consommateurs, les centres spécialisés et les institutions financières qui n’ont plus la liberté de choisir l’option désormais interdite.

Plutôt que d’interdire le libre jeu de la concurrence entre les différents fournisseurs de service au bénéfice d’un groupe d’intérêt particulier, le gouvernement du Québec devrait établir un cadre réglementaire permettant l’innovation des services juridiques de renouvellement hypothécaire de façon à ce que les consommateurs québécois aient le maximum de choix. Il contribuerait ainsi à donner un peu de marge de manœuvre financière à des propriétaires confrontés à des prix records sur un marché immobilier surchauffé.

Références

  1. Projet de loi 34, Loi visant à moderniser la profession notariale et à favoriser l’accès à la justice, Assemblée nationale du Québec, déposé le 14 septembre 2023.
  2. Marie-Ève Fournier, « La fin des signatures à distance provoque la colère des notaires », La Presse, 20 novembre 2023.
  3. Marie-Ève Fournier, « La Chambre des notaires poursuivie », La Presse, 2 février 2024.
  4. Marie-Ève Fournier, op. cit., note 2.
  5. Idem.; Assemblée nationale du Québec, Journal des débats de la Commission des institutions – 43e législature, 1re session – Le mardi 3 octobre 2023 – Roberto Aspri, vol. 47, no 45 à 11 h 50.
  6. Marie-Ève Fournier, op. cit., note 2.
  7. Assemblée nationale du Québec, Journal des débats de la Commission des Institutions – 43e législature, 1re session – Le mardi 3 octobre 2023 – Simon Jolin-Barrette, vol. 47, no 45 à 11 h 50.
  8. Marie-Ève Fournier, op. cit., note 3.
  9. Assemblée nationale du Québec, Roberto Aspiri, op. cit., note 5.
  10. Multi-prêts hypothèques, Comment fonctionne le renouvellement hypothécaire?, 13 octobre 2023; Jamie David, Changement de prêteur hypothécaire, 9 juillet 2024.
  11. Union des notaires du Québec, Pour une relance de la profession notariale au Québec – Projet de loi 34, Mémoire déposé le 2 octobre 2023, p. 6.
  12. Il s’agit d’un prêteur non conventionnel qui offre des taux d’intérêt souvent préférentiels.
  13. Marie-Ève Fournier, op. cit. note 2.
  14. Robert D. Tollison, « The economic theory of rent seeking », Public Choice, vol. 152, no 1/2, 2012, pp. 74-75.
Back to top