Code bleu: le Canada perd ses infirmières
Un hôpital ne peut pas fonctionner sans infirmières, encore moins un système de santé.
Elles font partie intégrante de la prestation des soins de santé, et les ministères de la Santé de partout au pays exercent beaucoup de pression sur les cégeps et universités pour qu’ils forment davantage d’infirmières afin de pallier la grave pénurie partout au pays.
Malheureusement, bien que de nombreuses jeunes infirmières joignent les rangs de notre système de santé, elles quittent aussi la profession à des taux record.
En 2022, le Canada a perdu 40 jeunes infirmières pour chaque tranche de 100 infirmières qui ont intégré la profession. Cela représente une augmentation de 25 % au cours des 10 dernières années.
Au Québec, la situation est particulièrement préoccupante, alors que nous perdons 43 jeunes infirmières pour chaque tranche de 100 qui entre dans la profession, une proportion qui est en augmentation de 29 % au cours de la dernière décennie.
Si nous ne nous attaquons pas au problème de la rétention des infirmières à sa source, ce type de situation risque de se produire de plus en plus.
Partout au pays, les infirmières sont très claires sur ce qui ne va pas dans leur profession.
Dans un récent sondage, neuf infirmières sur 10 ont déclaré avoir vécu des symptômes d’épuisement professionnel au cours de la dernière année. Parmi les causes identifiées figurent les pénuries de personnel et les heures supplémentaires. Maintenir un équilibre travail-famille est une lutte constante pour elles.
Près de la moitié des infirmières interrogées par la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers ont déclaré qu’elles resteraient dans leur rôle actuel si des changements étaient apportés à leur horaire de travail et si le processus était plus souple. Un autre quart des infirmières interrogées ont dit qu’elles envisageraient de rester.
Et comment pouvons-nous y parvenir? En donnant aux infirmières plus de contrôle sur leur horaire de travail, comme la Colombie-Britannique a commencé à le faire avec ses bassins d’échange et de partage de quarts de travail.
Les infirmières ont également besoin de la liberté de choisir pour qui elles veulent travailler et à quel endroit. Elles peuvent exercer leur profession dans une clinique ou un hôpital géré par le gouvernement, mais aussi dans une clinique d’infirmières praticiennes spécialisées, dans une agence de soins infirmiers indépendante, ou comme travailleuses autonomes.
Dans un contexte où les infirmières sont épuisées en raison de leurs mauvaises conditions de travail, les agences indépendantes agissent souvent comme un filet de sécurité pour attraper celles qui pourraient autrement quitter la profession. Près d’une infirmière sur trois qui est prête à quitter son emploi exprime un intérêt pour le travail en agence.
Restreindre les possibilités d’emploi des infirmières dans un effort de les maintenir dans le système public risque de produire l’effet inverse et d’entraîner le départ d’un plus grand nombre d’entre elles.
Déjà, les patients de provinces comme le Québec commencent à ressentir les effets des tentatives du gouvernement de sévir contre les infirmières indépendantes.
Cet été encore, les patients de Forestville, dans la région de la Côte-Nord, ont vu leurs heures d’ouverture aux urgences locales réduites au lundi au vendredi de 8 h à 17 h, en raison d’un manque de personnel. À moins que leur urgence médicale ne survienne pendant les heures normales de bureau, ils devaient parcourir 60 kilomètres de plus pour se rendre à la salle d’urgence la plus proche.
Des histoires semblables sur la fermeture partielle, voire totale, des services d’urgence sont de plus en plus répandues dans toute la province, par exemple en Outaouais, en Abitibi et en Montérégie. Dans tous les cas, la pénurie d’infirmières indépendantes a carrément été pointée du doigt comme la cause des réductions de services.
La tentative du gouvernement provincial de forcer les infirmières à travailler pour son propre système, plutôt que pour des agences indépendantes, a largement échoué, et les patients en ont subi les coûts.
Ce que le gouvernement Legault n’a pas compris, et ce que tant d’autres gouvernements provinciaux ont encore du mal à saisir, c’est que la croissance des soins infirmiers indépendants n’est pas ce qui met nos systèmes de santé en état de crise. C’est plutôt la façon dont nos hôpitaux gérés par le gouvernement utilisent le personnel.
Si ce problème n’est pas résolu, les choses ne feront qu’empirer.
Emmanuelle B. Faubert est économiste à l’IEDM et l’auteure de « Quelles provinces ont le plus de mal à garder les jeunes infirmières? ». Elle signe ce texte à titre personnel.