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Protéger le caribou sans ruiner nos régions

Point montrant comment l’intervention du gouvernement fédéral dans le dossier du caribou au Québec entraînera des coûts économiques importants pour plusieurs régions du Québec

Annexe technique

En lien avec cette publication

Décret sur le caribou: un impact économique «disproportionné» selon une étude (Le Quotidien, 17 septembre 2024)

Federal caribou decree will hammer rural Quebec (Financial Post, 25 septembre 2024)

Entrevue avec Renaud Brossard (Le show du matin, KYK Radio, 17 septembre 2024)

Entrevue avec Renaud Brossard (Midi Pile, KYK Radio, 17 septembre 2024)

 

Ce Point a été préparé par Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de diverses lois et dispositions réglementaires qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

En juin 2024, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il interviendrait dans le dossier du caribou au Québec afin de protéger certaines hardes(1). Cette approche interventionniste adoptée par Ottawa entraînera des coûts économiques importants pour plusieurs régions du Québec, tant par la réduction d’emplois que la perte d’activité économique dans le secteur de la foresterie.

Un décret qui n’affectera pas l’espèce

La menace d’intervention du gouvernement fédéral dans le dossier du caribou(2) au Québec plane depuis plusieurs années(3). Un décret d’urgence entrant en vigueur après des consultations publiques qui se concluront à la fin octobre 2024(4) est présentement considéré, ce qui représenterait toutefois une première dans ce dossier(5).

Ce décret viserait à protéger trois hardes, soit 265 bêtes au total en cas de succès, dont 9 à Val-d’Or, 31 à Charlevoix et 225 à Pipmuacan(6). Toutefois, il n’affecterait que très peu le maintien de l’espèce au Québec, car la proportion de caribous forestiers concernés ne correspond qu’à entre 3,6 % et 4,3 % seulement de l’ensemble de la population présente dans la province(7). En effet, la majorité de la population de caribous forestiers – estimée entre 6162 et 7445 bêtes – se situe au Nord-du-Québec et sur la Côte-Nord(8).

Pourtant, si une faible proportion de caribous est concernée par le décret, les effets pour nos régions et ses habitants seront lourds de conséquences.

Réduction des volumes de bois récoltés et attribués

Le gouvernement fédéral a établi des zones dites « provisoires », où la collecte du bois sera interdite. À l’aide des estimations du forestier en chef du Québec à propos de la baisse de possibilité forestière, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) a pu calculer la perte de volumes attribuables nets de bois, soit celle qui serait réellement subie par les entreprises québécoises(9). Celle-ci s’élèverait à près de 1,1 million de m3 de bois attribuables pour le secteur forestier dans nos régions(10).

La protection des trois hardes affecterait quatre régions administratives : le Saguenay Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord, l’Abitibi-Témiscamingue et la Capitale-Nationale(11). Pour ces régions qui sont directement visées par le décret, l’industrie forestière constitue un secteur d’activité économique important, notamment au Saguenay, où la récolte forestière est la plus importante au Québec.

Cette baisse de l’activité forestière entraînerait des répercussions bien réelles sur le dynamisme économique et l’emploi dans les régions touchées.

L’adoption du décret fédéral entraînerait la mise à pied de 1990 employés du secteur forestier, selon les estimations du MRNF(12). De ces pertes d’emplois, environ la moitié seraient liées à la protection d’une seule harde (celle de Pipmuacan) qui se situe à la jonction du Saguenay et de la Côte-Nord (voir le Tableau 1)(13). Pour les trois hardes, la baisse de l’activité se traduirait par une réduction substantielle du PIB du secteur forestier dans ces régions, soit 178 M$ de pertes en dollars constants de 2023, selon les estimations du MRFN(14).

Un impact économique disproportionné

Il s’agit d’un impact économique disproportionné étant donné le faible nombre de caribous protégés par le décret. En effet, pour les trois hardes, le coût moyen par caribou atteindrait 670 368 $, et 8 emplois par animal seraient perdus (voir le Tableau 1). Le coût par caribou protégé en Abitibi-Témiscamingue s’élèverait à 3,3 M$ et la perte d’emplois, à 38. Cela s’explique par l’impact économique important nécessaire pour protéger seulement 9 caribous(15).

Pour ce qui est de la harde de Charlevoix, 20 travailleurs perdraient leurs emplois et une réduction de 1,8 M$ au PIB est à prévoir par caribou protégé. Finalement, pour ce qui est de la harde de Pip-muacan, l’adoption du décret provoquerait une perte de 5 emplois et de 414 578 $ par caribou.

Plusieurs éléments de pertes additionnelles n’ont pas pu être intégrés dans le calcul, tels que les pertes liées aux potentielles fermetures d’usines qui découleraient de ce décret fédéral(16). En effet, certaines usines qui verront leur volume attribuable de bois chuter pourraient devoir cesser leurs activités(17), mais cet impact n’est pas inclus dans le modèle du MRNF pour la projection des pertes d’emplois. Certaines entreprises perdraient 50 pour cent de leur volume de bois attribué, rendant la continuation de leurs activités particulièrement difficile.

Cela vient créer de l’incertitude pour les entreprises forestières, qui ne connaissent pas l’étendue des retombées économiques sur leurs activités. En effet, des zones additionnelles visées par l’interdiction de récolte de bois pourraient être ajoutées au décret fédéral.

Si l’objectif est de protéger les 265 caribous forestiers de ces trois hardes, le gouvernement fédéral devrait plutôt considérer des solutions ayant des impacts économiques plus raisonnables, et ainsi éviter que les habitants des régions visées aient à se relocaliser afin de trouver un autre emploi.

Références

  1. Gouvernement du Canada, Document de travail : Portée proposée d’un décret en vertu de l’article 80 de la Loi sur les espèces en péril pour assurer la protection du caribou, population boréale (Rangifer tarandus), consulté le 30 août 2024.
  2. Il s’agit du caribou forestier, appelé encore caribou boréal par le gouvernement du Canada. Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, « Revue de littérature sur les facteurs impliqués dans le déclin des populations de caribous forestiers au Québec et de caribous montagnards de la Gaspésie », Gouvernement du Québec, 2021, p. 1.
  3. David Rémillard, « Protection du caribou : Ottawa prépare une offensive inédite contre Québec », Radio-Canada, le 12 avril 2022.
  4. Jean-Thomas, Léveillé, « Québec reporte encore la protection du caribou », La Presse, 12 juin 2024.
  5. David Rémillard, op. cit., note 3.
  6. Gouvernement du Canada, op. cit., note 1.
  7. Calcul de l’auteur. (265/6162)*100 = 3,6 % et (265/7445)*100 = 4,3 %. Gouvernement du Québec, Caribou des bois, écotype forestier, consulté le 30 août 2024.
  8. Équipe de rétablissement du caribou forestier, Bilan du rétablissement du caribou forestier (Rangifer tarandus caribou) au Québec pour la période 2013-2023, produit pour le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Québec, Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs, 2013, p. 20-22. Voir annexe technique. Ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), Estimation des pertes d’emplois associées à la prise d’un décret par le gouvernement fédéral, 29 août 2024, p. 7.
  9. Idem. Ceci inclut les industries dépendantes de cet approvisionnement en bois, telles que les scieries, les papeteries, etc.
  10. Bureau du Forestier en chef, « Projet de décret d’urgence visant à protéger l’habitat du caribou boréal au Québec – Évaluation d’impact sur les possibilités forestières 2024-2028 »,15 juillet 2024, p. 3.
  11. Voir annexe technique.
  12. En effet, ces deux régions ont représenté 27 % des volumes récoltés de bois en 2021-2022. Le Saguenay–Lac-Saint-Jean est la région ayant le plus de volume récolté au Québec. Ministère des Ressources naturelles et des Forêts, « Ressources et industries forestières du Québec – Portrait statistique 2022, p. 69; Idem.
  13. Les estimations du MRNF ont été converties en dollars constants de 2023 en utilisant l’IPC canadien. Voir annexe technique.
  14. Ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), op. cit., note 9, p. 9. Statistique Canada, Tableau : 18-10-0005-01 – Indice des prix à la consommation, moyenne annuelle, non désaisonnalisé, consulté le 4 septembre 2024.
  15. Calcul de l’auteur. Voir annexe technique. Ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), op. cit., note 9, p. 9.
  16. Voir annexe technique. Ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), op. cit., note 9, p. 10.
  17. Philippe Mercure, « Des communautés en suspens », La Presse, 9 août 2024.
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