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Textes d'opinion

Le salaire minimum est-il forcément nocif pour l’emploi? Ce qu’en dit vraiment la recherche

Atlantico : Les lauréats du Prix nobel d’économie 2021, David Card, et son co-auteur Alan Krueger, avaient publié un article de recherche sur le salaire minimum et ses effets sur l’emploi dans les fastfoods. En quoi cela a-t-il constitué une bombe dans le milieu des économistes? Cette révolution était-elle méthodologique et théorique?

Vincent Geloso : L’attrait des articles initiaux de Card et Krueger résidait largement dans leur méthode. Avant les années 1990, les économistes utilisaient principalement des données de séries temporelles pour comparer les situations « avant » et « après » dans un lieu spécifique. Par ailleurs, les travaux empiriques impliquaient souvent des analyses transversales, comparant différentes régions ou groupes à un moment donné afin de déterminer si les taux de chômage et d’emploi variaient dans les endroits avec des salaires minimums élevés. À cette époque, l’attention se concentrait essentiellement sur ces deux variables. Cependant, toutes ces méthodes présentaient des limites importantes lorsque l’objectif était de formuler des affirmations causales précises.

L’innovation de Card et Krueger a consisté à utiliser la méthode des différences de différences pour mesurer l’impact de l’augmentation du salaire minimum sur l’emploi. Cette méthode compare les changements de résultats au fil du temps entre un groupe traité et un groupe témoin. Dans leur étude, le groupe traité comprenait des restaurants de restauration rapide au New Jersey, où le salaire minimum avait été augmenté, tandis que le groupe témoin incluait des restaurants en Pennsylvanie, où le salaire minimum était resté inchangé. On parle de « différences de différences » parce qu’il n’est pas crucial de savoir si le taux d’emploi était plus bas au New Jersey qu’en Pennsylvanie avant ou après l’augmentation du salaire minimum. Ce qui importe, c’est comment la différence entre les deux a évolué. Avec cette méthode, il devient plus aisé de faire des affirmations causales. Avec leur étude initiale, ils avaient trouvé que le salaire minimum n’avait pas d’effets négatifs.

Moins de dix ans après leurs articles initiaux, des meilleures données sont sorties avec des améliorations sur la méthode. C’est notamment grâce aux travaux de David NEumark, William Wascher, Jeffrey Clemens, Jonathan Meer, Don Bellante, Jacob Vigdor et des dizaines d’autres. Au final, le résultat a été renversé – les salaires minimums réduisent l’emploi et les heures travaillées.

Pourquoi les économistes ont-ils tendance à dire que les salaires minimums sont toujours néfastes?

Vincent Geloso : Les salaires minimums sont généralement nocifs. Mais ils ne sont pas toujours nocifs. Dans le cas où il existe ce qu’on appelle un monopsone – une situation où un seul employeur domine le marché du travail – nous observons généralement moins d’emploi et des salaires plus bas que dans un marché compétitif. Dans un tel cas, l’instauration d’un salaire minimum peut améliorer la situation. Le problème, cependant, est que les monopsones sont assez rares. De plus, lorsqu’ils existent, ils sont souvent créés par les gouvernements eux-mêmes qui protègent certaines entreprises de la concurrence, leur permettant ainsi de monopoliser le marché.

Hormis ce cas particulier, les salaires minimums sont toujours nocifs puisqu’ils augmentent augmente le prix qu’il faut payer pour un travailleur qui n’est pas plus productif qu’avant son adoption. Cependant, depuis Card et Krueger, on comprend mieux que les firmes ne s’ajustent pas seulement au titre de l’emploi. Pourquoi? Parce que le salaire n’est pas le seul coût du travail et qu’il existe d’autres marges sur lequel on peut s’ajuster pour gérer avec une augmentation des coûts qui ne viennent avec aucune hausse de productivité du travail.

Et ça fait du sens de penser ainsi. Imaginez une firme avec trois employés qui fait face à une augmentation de 5% du salaire minimum. Si elle licence un des trois travailleurs, elle sacrifie un tiers de sa production pour gérer une petite augmentation de coût. Autant tuer une mouche avec une arme nucléaire! Pour des modestes hausses, on trouve d’autres mécanismes d’ajustement – surtout pour les petites firmes.

À tout cela, il faut ajouter qu’il y a des conséquences inattendues difficile à observer.

En quoi la littérature et la pensée économique, depuis Card et Krueger, ont confirmé cette tendance, notamment au regard de la réalité du marché du travail?

Vincent Geloso : Depuis Card et Krueger, ce que l’on a découvert, c’est que face à des hausses modestes du salaire minimum, il est souvent préférable de s’ajuster en réduisant les heures de travail, en coupant dans les avantages marginaux (comme les assurances liées aux métiers ou les repas offerts aux employés), en demandant aux employés qui doivent porter des uniformes de les acheter eux-mêmes plutôt que de les fournir gratuitement, en augmentant les prix des services lorsque cela est possible, en retardant les embauches futures ou en faisant travailler les employés des heures supplémentaires sans comptabiliser ces minutes additionnelles. En résumé, face à de petites augmentations du salaire minimum, les entreprises ont tendance à s’adapter par d’autres mécanismes pour gérer l’augmentation des coûts. C’est seulement lors de fortes augmentations du salaire minimum que l’on observe les entreprises de toutes les tailles s’ajuster leur main-d’œuvre en procédant à des licenciements.

Existe-t-il des mécanismes d’ajustement au salaire minimum mais qui ne nécessitent pas de licenciements? Les marchés s’ajustent-ils aux réalités économiques et aux évolutions des salaires?

Vincent Geloso : Il existe des exemples intéressants de mécanismes d’ajustement qui ne sont pas liés à l’emploi. Dès les années 1990, Card et Krueger eux-mêmes observaient que les employeurs affectés par des hausses du salaire minimum réduisaient les avantages marginaux. On dispose même d’une étude réalisée à Seattle, aux États-Unis, qui montre que pour chaque augmentation de 0,25 $ du salaire minimum, les restaurants diminuent l’hygiène en cuisine de manière à entraîner une augmentation de 8 % des violations des codes de santé publique. Force est d’admettre que les marchés s’ajusteront toujours, mais pas toujours de manière forcément visible. On ne peut pas utiliser le salaire minimum pour créer une société riche, c’est tout.

Vincent Geloso est économiste senior à l’IEDM. Il répond aux questions d’Atlantico à titre personnel.

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