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Du plomb dans l’aile: les frais qui minent la compétitivité du secteur aérien

Note économique montrant que les loyers imposés aux organismes de gestion aéroportuaires, ainsi que d’autres frais et taxes, pèsent sur le secteur aérien et augmentent les prix payés par les passagers

Le coût élevé du transport aérien domestique est largement attribuable aux divers frais facturés par le gouvernement fédéral aux compagnies aériennes et aux aéroports, rappelle cette étude de l’IEDM. « Ottawa préfère voir nos aéroports comme une vache à lait, plutôt que l’infrastructure de transport essentielle qu’ils représentent », explique Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques et auteur de l’étude.

En lien avec cette publication

Study shows how much more Canadians pay for flights due to tax (Sun Media Papers, 7 décembre 2023)

Des vols pour l’Europe au tarif de base de 2 $ en janvier (ICI Radio-Canada, 7 décembre 2023)

Flights are more expensive in Canada than the U.S. due to tax: ‘Ottawa prefers to treat our airports as cash cows’ (National Post, 7 décembre 2023)

Air travel much costlier due to federal fees (The Hamilton Spectator, 11 décembre 2023)

The cash grab that drives up airfares (TroyMedia, 20 décembre 2023)

Airport rent raises airfares for Canadians (Skies, 30 janvier 2024)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Midi Pile, KYK 95,7 FM, 7 décembre 2023)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Mario Dumont, QUB Radio, 7 décembre 2023)

Entrevue avec Gabriel Giguère (Benoit Dutrizac, QUB Radio, 8 décembre 2023)

 

Cette Note économique a été préparée par Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

L’économie canadienne a été lourdement affectée par la pandémie des dernières années. Plusieurs secteurs ont vu leur contribution au PIB chuter de façon draconienne lors de cette période. Certains secteurs comme celui du transport aérien, dont la contribution a chuté de 36 %, n’ont pas retrouvé leur niveau d’activité prépandémique(1). Dans un contexte où l’industrie aérienne est assujettie à un lourd fardeau fiscal et réglementaire, le gouvernement fédéral pourrait contribuer à la reprise du secteur en réduisant les loyers aéroportuaires, les droits de sécurité et la taxe sur le carburant(2).

Supprimer les loyers aéroportuaires

Selon le cadre réglementaire actuel – datant de 1992 – le gouvernement fédéral délègue la gestion des aéroports canadiens(3) à des organismes sans but lucratif, appelés autorités aéroportuaires. Le cadre prévoit que celles-ci versent un loyer à l’État en fonction des recettes brutes de l’aéroport(4). Au total, 26 aéroports sont gérés par ces organismes et font partie du Réseau national d’aéroports (RNA)(5). Il s’agit des aéroports les plus achalandés du pays, comme l’aéroport Montréal-Trudeau et Pearson à Toronto.

Or, le versement annuel des loyers des aéroports du RNA représente une lourde charge qui plombe le secteur dans son ensemble, à commencer par les autorités aéroportuaires, mais aussi les compagnies aériennes et les passagers. En effet, le loyer peut absorber jusqu’à 12 % des revenus d’un aéroport, comme c’est le cas pour les plus gros d’entre eux(6). Cette pression financière exercée par les loyers élevés limite directement la capacité des autorités aéroportuaires à investir dans leurs propres infrastructures.

Pour l’exercice financier 2022-2023, les loyers versés à l’État fédéral ont ainsi atteint un sommet de 419 millions $, soit une augmentation de 42,5 % en 10 ans seulement (voir la Figure 1)(7). Pendant la décennie 2013-2023, les aéroports du RNA ont versé pas moins de 3 milliards $ à l’État, et ce, même en tenant compte de la réduction des recettes liées aux loyers pendant les deux années fortement perturbées par la pandémie de COVID-19. En effet, l’industrie aérienne dans son ensemble avait connu une baisse draconienne de ses activités, ce qui avait conduit le gouvernement fédéral à suspendre les paiements de loyer lors de l’exercice financier 2020-2021(8).

En comparaison des milliards de dollars empochés sous forme de loyers, le gouvernement fédéral investit peu, voire pas du tout, dans l’entretien des infrastructures aéroportuaires, notamment pour les gros aéroports du RNA. En effet, environ 32 millions $ ont été investis en moyenne annuellement de 2013 à 2020 par l’entremise du Programme fédéral d’aide aux immobilisations aéroportuaires (PAIA), ce qui représente seulement environ 9 % des revenus moyens perçus en loyer pour la même période(9). Seulement une très faible part des fonds du PAIA est versée à quelques petits aéroports qui font partie du RNA, la majeure partie allant à des aéroports qui ne paient pas de loyer(10).

Pire encore, les aéroports les plus achalandés ne reçoivent aucun financement du PAIA, alors que ce sont eux qui versent la part la plus importante des recettes fédérales en loyer. À titre d’exemple, Pearson et Montréal-Trudeau représentaient ensemble plus de 55 % de la valeur totale des loyers perçus en 2022.

En comparaison des milliards de dollars empochés sous forme de loyers, le gouvernement fédéral investit peu dans l’entretien des infrastructures aéroportuaires.

Afin d’assurer l’entretien des infrastructures sous leur gestion, les autorités aéroportuaires sans but lucratif – ayant été privées des fonds versés en loyers à l’État fédéral – imposent des frais d’améliorations aéroportuaires, lesquels sont facturés directement aux passagers sur leur billet d’avion. Ces frais sont notamment passés de 25 $ en décembre 2017 à 35 $ en février 2021 à l’aéroport Montréal-Trudeau, et augmenteront à 40 $ en mars 2024(11), alors qu’à l’aéroport Pearson ils ont augmenté de 5 $ avant la pandémie à 35 $ en 2023(12). Les loyers imposés aux autorités aéroportuaires dans le but d’augmenter les recettes de l’État agissent donc comme une taxe imposée aux voyageurs.

Les décideurs auraient dû profiter de l’arrêt temporaire de la perception des loyers en 2020-2021 pour revoir leur politique et opérer un changement permanent. Le contexte postpandémique remet à l’avant-scène la pertinence de ce questionnement. Déjà en 2013, un comité sénatorial avait recommandé d’abolir le paiement de loyers par les autorités aéroportuaires à l’État fédéral(13). Son rapport soulignait par ailleurs la nécessité de céder les aéroports aux autorités aéroportuaires, voire même de les privatiser, leur permettant ainsi d’investir davantage dans les infrastructures. Les gouvernements successifs n’ont jamais donné suite à cette recommandation.

Diminuer le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien

Le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien est un autre frais qui plombe le secteur. Il a été implanté à la suite des attentats du 11 septembre 2001. En théorie, cette redevance a pour objectif de financer les opérations de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien. Le montant varie selon le type de vol : le droit actuel est de 7,48 $ pour un vol intérieur aller simple et de 25,91 $ pour un vol international(14).

Dans son budget 2023-2024, le gouvernement fédéral a annoncé une augmentation du droit pour la sécurité des passagers dès le 1er mai 2024(15). Selon le Bureau du directeur parlementaire du budget, il s’agirait d’une augmentation d’environ 33 %, qui permettrait de majorer les recettes fédérales de 1,2 milliard $ pour les quatre prochains exercices financiers(16).

Pour tout type de vol (intérieur aller simple, intérieur aller-retour ou encore international), les frais de sécurité sont moins élevés aux États-Unis.

En comparant les droits pour la sécurité des passagers du transport aérien au Canada à ceux en vigueur aux États-Unis, on constate que les droits payés par les passagers américains sont moins importants, surtout si l’on tient compte de l’augmentation prochaine prévue au Canada. En effet, pour tout type de vol (intérieur aller simple, intérieur aller-retour ou encore international), les frais de sécurité sont moins élevés aux États-Unis(17). Pour un vol international, le voyageur canadien paiera des frais de 34,42 $ à partir du 1er mai 2024, par rapport à son homologue américain pour qui les frais sont plafonnés à 15,30 $ (en dollars canadiens)(18). L’augmentation prévue au Canada entraînerait donc une différence entre les deux pays de près de 20 $ par billet, minant ainsi la compétitivité du secteur aérien canadien.

Le gouvernement doit dès lors étudier les solutions de rechange et demander une étude approfondie des besoins de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien afin d’envisager une baisse des droits de sécurité, au lieu de les augmenter.

Réduire la taxe sur le carburant

Aux droits pour la sécurité et aux loyers trop élevés s’ajoute la taxe fédérale d’accise sur le carburant, en vigueur depuis 1985, qui tire une fois de plus le prix des billets d’avion vers le haut(19). Bien que cette taxe s’établisse à seulement 4 cents par litre de carburant d’avion, elle représente un peu plus de 900 millions $ versés par l’ensemble du secteur aérien dans les coffres de l’État fédéral au cours de la dernière décennie(20).

Le gouvernement américain impose lui aussi une taxe sur le carburant d’aviation(21). Elle ne s’élève toutefois qu’à 4,3 cents US le gallon, soit 1,55 cent CA le litre de carburant(22). Comme la taxe d’accise canadienne sur le carburant est plus élevée de 158 % par rapport à la taxe américaine (voir la Figure 2), notre secteur aérien voit encore une fois sa compétitivité minée sur ce plan, ce qui favorise les aéroports américains juste au sud de la frontière qui attirent des voyageurs canadiens.

La taxe carbone applicable au carburant(23), appelée redevance sur les combustibles, est un élément additionnel à considérer. Elle s’applique à tous les types de carburant, y compris le kérosène, utilisé dans la plupart des avions commerciaux. Pour le moment, les vols entre les provinces assujetties à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre sont exempts de cette taxe.(24) Le gouvernement fédéral gagnerait à maintenir cette situation afin de ne pas nuire davantage à l’attractivité des destinations au Canada pour les vols intérieurs.

Le maintien de cette exemption, combiné à une réduction de la taxe sur le carburant au même niveau que celle en vigueur aux États-Unis, permettrait ainsi d’accroître la compétitivité du secteur aérien canadien.

Conclusion

Le cadre fiscal et réglementaire actuel pénalise les voyageurs canadiens, qui paient plus cher leurs billets d’avion en raison notamment des loyers aéroportuaires et d’autres frais élevés. Ce cadre mine également la compétitivité de nos aéroports par rapport aux aéroports américains juste au sud de la frontière.

Les voyageurs canadiens paient plus cher leurs billets d’avion en raison notamment des loyers aéroportuaires et d’autres frais élevés.

Afin d’alléger le fardeau imposé aux voyageurs et d’améliorer la compétitivité de notre industrie aérienne, le gouvernement fédéral devrait envisager d’abolir les loyers imposés aux organismes de gestion aéroportuaires et considérer toutes les options pour diminuer les autres frais et taxes qui pèsent sur le secteur et augmentent les prix payés par les passagers.

Malgré une perte de revenus relativement minime pour l’État fédéral par rapport à ses recettes totales, ces changements entraîneraient une hausse des activités économiques qui profiterait au secteur et à l’économie canadienne en général, ce qui permettrait de compenser à long terme la baisse des recettes fiscales(25).

Références

  1. Calcul de l’auteur. Statistique Canada, Tableau 36-10-0434-01 : Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base, par industries, mensuel (x 1 000 000), 2023.
  2. Cette analyse se penchera sur ces différents frais en s’inspirant notamment de l’approche adoptée dans une Note économique publiée en 2006. Voir Stéphanie Giaume et Martin Masse, « Des mesures pour accroître la compétitivité de l’industrie aérienne canadienne », Note économique, IEDM, novembre 2006.
  3. Bibliothèque du Parlement, La réforme de la gouvernance des aéroports au Canada et à l’étranger, no 2017-17-F, 4 mai 2017, p. 2.
  4. Comité sénatorial permanent des transports et des communications, Une seule approche ne convient pas : Croissance et compétitivité international du transport aérien au Canada, Sénat du Canada, avril 2013, p. 16.
  5. Gouvernement du Canada, Le réseau de transport canadien – Infrastructures aériennes et routières, 8 mai 2018.
  6. Alexandre Moreau, « Les frais et taxes qui nuisent à la compétitivité des aéroports canadiens », Note économique, IEDM, juin 2016, p. 2.
  7. Calculs de l’auteur. Gouvernement du Canada, Comptes publics : Volume 2, éditions 2013-2014 à 2022-2023.
  8. Lina Dib, « Ottawa ne réclamera pas paiement des loyers aux aéroports », Le Devoir, 31 mars 2020.
  9. Calcul de l’auteur. Gouvernement du Canada, op. cit., note 7. Les années de pandémie ont été retirées, étant donné le contexte particulier qui affecte fortement le secteur aérien. Toutefois, en incluant les années de pandémie et postpandémiques, le PAIA réinvestit l’équivalent de 16 % des revenus de l’État liés aux versements des loyers.
  10. Gouvernement du Canada, Programme d’aide aux immobilisations aéroportuaires : projets financés récemment, 14 novembre 2023.
  11. Martin Jolicoeur, « Aéroports de Montréal : hausse importante des frais aux passagers », Le Journal de Montréal, 18 juin 2020; Aéroport de Montréal, « Avis Public », 23 octobre 2020; La Presse canadienne, « Hausse des frais à l’aéroport Montréal-Trudeau dès le printemps », La Presse, 1er décembre 2023.
  12. La Presse canadienne, « Pourquoi les frais d’aéroport augmentent à travers le pays? », Les Affaires, 6 mars 2023.
  13. Comité sénatorial permanent des transports et des communications, op. cit., note 4, p. 12.
  14. Bureau du directeur parlementaire du budget, « Majoration du droit pour la sécurité des passagers du transport aérien », 9 mai 2023, p. 1.
  15. Gouvernement du Canada, Loi no 1 d’exécution du budget de 2023, art. 127, 22 juin 2023.
  16. Bureau du directeur parlementaire du budget, op. cit., note 14, p. 1.
  17. Transportation Security Administration (USA), Security Fees, consultée le 23 octobre 2023.
  18. Calcul de l’auteur : 11,20 $ (US) x 1,3657 = 15,30 $. Banque du Canada, Taux de change quotidiens, consultée le 12 octobre 2023.
  19. Gouvernement du Canada, Loi sur la taxe d’accise, Annexe 1, art. 10.1, 1985 (22 juin 2023).
  20. Gouvernement du Canada, op. cit., note 7. Le ralentissement de la période pandémique a toutefois entraîné une nette diminution des recettes, qui sont passées de 108 millions $ en 2019-2020 à 56 millions $ en 2020-2021. Cette tendance baissière n’était toutefois que temporaire à la vue des recettes de 2022, qui ont atteint 117 millions $.
  21. Airlines for America, Data & Statistics, U.S. Government-Imposed Taxes on Air Transportation, 1er octobre 2023.
  22. Calcul de l’auteur : (4,3 ¢ US x 1,3657) / 3.785412 = 1,55 ¢ / litre. Banque du Canada, Taux de change quotidiens, consultée le 12 octobre 2023.
  23. Gouvernement du Canada, Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, Partie 1, 21 juin 2018 (1er juillet 2023).
  24. Gouvernement Canada, Définitions liées à la redevance sur les combustibles, Itinéraire aérien assujetti et Itinéraire aérien exclu, 8 août 2023.
  25. Alexandre Moreau, « Transport aérien : les taxes et frais pénalisent les voyageurs », Note économique, IEDM, juin 2018, p. 4.
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