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Textes d'opinion

Geler les tarifs d’Hydro-Québec: une mesure régressive et inefficace

Avec l’inflation atteignant 5,4% au Québec le mois dernier, plusieurs voix se sont élevées pour demander au gouvernement d’épauler les consommateurs face à cette hausse élevée des prix.

Une des mesures suggérées qui a trouvé écho chez les consommateurs était de limiter – voire geler – l’augmentation des tarifs d’Hydro-Québec. On apprenait cette semaine que le gouvernement voulait limiter la hausse des tarifs à 3 %, soit en deçà de l’inflation de plus de 5 %.

Même si à première vue une telle mesure semble protéger les consommateurs de l’inflation, elle n’en demeure pas moins inéquitable et économiquement coûteuse.

Lorsqu’un gouvernement décide d’aider des consommateurs plus démunis en manipulant le prix d’un bien ou d’un service, il aide aussi trop souvent d’autres consommateurs qui n’en ont pas vraiment besoin. Prenons comme exemple un ménage à faible revenu qui consacre 700 $ par an à l’électricité. Limiter l’augmentation des prix à 3 % plutôt qu’à 5 % procure à ce ménage une aide annuelle de 14 $. Un ménage plus fortuné qui paierait annuellement 3 500 $ pour son électricité (il ne faut pas oublier le chalet!) jouirait d’une aide de 70 $, soit cinq fois plus que l’aide offerte à notre ménage à faible revenu. Ainsi, limiter la hausse des tarifs d’électricité est inéquitable et régressif.

De plus, si on limite la hausse des tarifs, une aide de 14 $ pour un ménage à faible revenu coûte en fait 84 $ au gouvernement. Multiplions cette aide par les milliers de logements au Québec : on se retrouve avec une cagnotte importante versée aux « mauvaises » personnes.

Une façon de faire plus équitable et efficace serait de laisser les prix suivre l’inflation de 5 %. Le ménage à haut revenu paierait les 70 $ supplémentaires, et le ménage plus démuni subirait une hausse annuelle de 14 $. Si on veut aider ce ménage, on peut pour ce faire utiliser une partie des 70 $. Une solution, dans les circonstances hors du commun que nous vivons, pourrait alors être une aide ponctuelle octroyée aux ménages dans le besoin. Un bon exemple aurait été le « chèque-inflation » sous forme de crédit d’impôt remboursable du dernier budget du ministre Girard, s’il avait été mieux dirigé vers les ménages les plus démunis. L’adoption de mesures ciblées et ponctuelles nous semble beaucoup plus équitable pour aider les ménages les plus nécessiteux face à la hausse soudaine des prix.

Les tarifs doivent augmenter

Au-delà des considérations d’équité sociale, manipuler les tarifs d’Hydro-Québec pour des motifs de redistribution a des effets pernicieux sur de l’efficacité économique. Présentement, les Québécois et Québécoises jouissent des prix les plus bas en matière d’électricité pour le secteur résidentiel en Amérique du Nord. C’est normal : les hausses de tarifs de l’électricité sont déterminées à l’issue d’un processus politique dans lequel l’efficacité joue un rôle trop souvent effacé, ce qui donne une facture artificiellement basse pour les consommateurs.

Comme on l’a vu plus haut, des tarifs trop faibles bénéficient davantage aux consommateurs fortunés qu’aux plus démunis. Et quand ce ne sont pas les consommateurs les mieux nantis qui en récoltent les fruits, ce sont ceux résidant dans les autres provinces et aux États-Unis qui en profitent. En offrant des tarifs réduits à plusieurs entreprises exportatrices au Québec, comme les alumineries, les contribuables d’ici subventionnent indirectement la consommation d’aluminium à l’extérieur de la province (ainsi que les actionnaires des entreprises subventionnées).

En permettant aux prix d’augmenter à un niveau plus normal pour le marché nord-américain, le gouvernement cesserait d’une part de subventionner indirectement les ménages les mieux nantis et les grands consommateurs d’électricité, et inciterait d’autre part les consommateurs à réduire le gaspillage énergétique. En voilà une bonne raison de ne plus laisser les lumières ouvertes dans la cuisine quand on quitte la maison!

De façon générale, les gouvernements doivent s’abstenir de manipuler les prix des biens et services pour de seuls motifs de redistribution. Une telle pratique est trop souvent régressive et encourage les inefficacités.

Si le gouvernement actuel souhaite réellement venir en aide aux moins nantis tout en favorisant l’efficacité économique et la réduction du gaspillage énergétique, il doit cesser de limiter la hausse des prix. Ensuite, afin de s’assurer que les ménages moins nantis puissent tout de même faire face à l’inflation, le gouvernement doit miser sur des transferts ciblés, si nécessaire.

Il faut laisser les prix s’ajuster à l’inflation en dépolitisant la question des tarifs d’électricité, et aider les moins nantis avec des mesures ciblées.

Michel Poitevin est chercheur associé senior à l’IEDM et Miguel Ouellette est directeur des opérations et économiste à l’IEDM. Ils signent ce texte à titre personnel.

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