Équilibré et ambitieux
La réforme d’envergure proposée par le Groupe de travail sur le financement du système de santé pourrait sortir notre système de santé du marasme d’inefficacité dans lequel il est embourbé. Elle favoriserait une plus grande efficacité du système, c’est-à-dire de meilleurs services de santé à un coût réduit.
L’élément crucial de cette réforme est le recentrage du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) sur sa vocation première – définition des orientations et des objectifs, financement, évaluation de la performance – et la décentralisation de responsabilités opérationnelles vers les agences régionales. La séparation organisationnelle entre les agences régionales comme demandeurs de soins au nom de leur population et les établissements comme fournisseurs de services est un autre élément important de la réforme proposée. Cette séparation encouragerait une évaluation transparente et indépendante de la performance des agences et des établissements. Les contrats incitatifs entre ces derniers permettraient de replacer la qualité et la quantité des soins de santé au coeur du régime.
Pour répondre adéquatement aux demandes, les établissements jouiraient d’une véritable autonomie de gestion avec une direction générale unique, redevable à son conseil d’administration et directement responsable de la performance de l’établissement. Cela exigerait des établissements qu’ils gèrent leurs ressources humaines – médecins, infirmières et autres types de personnel médical, personnel de gestion et de soutien – au sein d’une équipe cohésive et cohérente.
À défaut d’y arriver, l’établissement perdrait ses patients et ses contrats de service, et ce, afin de garantir le bien-être de la population. Les résultats des établissements seraient par ailleurs évalués sur une base régulière par la Direction de l’évaluation du MSSS. Souhaitons que l’ère des collusions corporatistes actuelles au service des groupes d’intérêts, tant politiques que syndicaux et professionnels, prenne définitivement fin.
Rôle du privé
Restent deux autres éléments importants mais plus litigieux de la réforme, à savoir le rôle du secteur privé et le financement additionnel du régime. Pour assurer la pérennité du système et faire en sorte que la croissance des coûts publics ne dépasse pas la croissance de la richesse nationale, les commissaires examinent trois options: une réévaluation périodique du panier de services de santé couverts, une contribution fiscale additionnelle (abonnement, TVQ et impôt spécial sous forme de franchise) et un accroissement de l’efficacité globale du système. De ces trois options, la troisième est de loin la plus importante et la plus prometteuse. La réforme organisationnelle réussie du système de santé suffirait fort probablement à atteindre les objectifs consistant à obtenir de meilleurs soins et à limiter la croissance des coûts, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux contributions fiscales additionnelles.
Quant à la place du secteur privé, le rapport propose une présence du privé à l’échelle des cliniques de première ligne et des centres de soins de longue durée afin d’assurer la souplesse nécessaire dans l’organisation du travail et une plus grande responsabilité auprès des populations desservies; la possibilité pour les établissements hospitaliers ayant des équipements sous-utilisés de les louer à d’autres établissements ou à des groupes de santé publics ou privés; l’option pour les médecins et d’autres types de personnel médical d’exercer leurs compétences dans un cadre de pratique mixte public-privé sous contrainte d’une satisfaction prioritaire des besoins du secteur public et d’une entente avec leur établissement d’attache; le droit de s’assurer au privé pour tout type de soins et de se faire soigner au privé dans des délais et des conditions acceptables lorsque le secteur public ne peut pas le faire. Les deux derniers volets soulèvent beaucoup d’opposition et risquent de faire dérailler toute la réforme, ce qui ferait bien l’affaire des groupes d’intérêts dont le pouvoir est menacé.
Concurrence
Ce serait par ailleurs une erreur de s’en tenir à ces seules facettes pour caractériser les contributions potentielles du secteur privé à notre régime de santé public, car ce ne sont ni les seules ni les plus capitales. La contribution potentielle la plus importante réside dans la fourniture de soins de santé à toute la population assurée par le système public. On doit permettre à des établissements privés de s’établir et de concurrencer les établissements publics.
La RAMQ, comme payeur public, devrait rembourser tous les établissements, publics et privés, au même niveau pour tous les soins assurés donnés à la population. C’est d’abord et avant tout en permettant une concurrence saine, ouverte et transparente entre établissements publics et privés que le droit des citoyens à un régime de santé efficace sera le mieux protégé. La tentation qui guette les principaux acteurs de notre système de santé est de continuer à imposer des restrictions à ce droit plutôt que de s’engager à le respecter.
Marcel Boyer est vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal.