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Textes d'opinion

Des inégalités temporaires

Le Centre canadien des politiques alternatives a fait état des écarts grandissants de rémunération entre les hauts et les bas salariés des entreprises canadiennes (La Presse Affaires, 3 janvier).

Il faut être prudent avant de s’offusquer qu’un chef d’entreprise soit bien payé, si on attend de lui qu’il rapporte des dividendes supérieurs, dans des entreprises dont la taille et la complexité s’accroissent avec la mondialisation. La nature des liens entre la création de richesse, sa répartition et sa redistribution est un des débats récurrents dans les démocraties, qu’elles soient d’obédience sociale-démocrate ou non.

Rappelons au départ que la création de richesse et la hausse de productivité ne tombent pas du ciel par la grâce divine mais sont le fruit des actions, recherches et réflexions des créateurs, innovateurs et entrepreneurs qui réussissent à produire plus de biens et services de plus grande valeur avec les ressources disponibles (main-d’oeuvre, nature, capital). De plus, la distribution de la richesse est beaucoup plus égalitaire dans les pays développés et elle est devenue plus égalitaire à mesure que le niveau de développement a augmenté. Gardons également à l’esprit quelques faits importants:

    1. Il y a eu 5,2 millions d’emplois nets créés au Canada depuis 1981 (25 ans), 3,8 millions depuis 1992 et 2,4 millions depuis 1998. Ces chiffres sont nets de toutes les pertes d’emplois qui retiennent toujours et trop l’attention.
    2. La part de la rémunération du travail dans le produit intérieur brut canadien fluctue légèrement autour de 53% depuis plusieurs décennies. Au Canada, elle est passée de 55% (1981) à 52% (1995) et 51% (2006); elle était en 2006 de 43% en Alberta, de 54% en Ontario et de 53% au Québec.
    3. La rémunération du travail a augmenté en termes réels de 87,4% en 25 ans.
    4. La rémunération du travail n’est qu’une des sources de revenus des individus et des ménages car les entreprises sont en définitive leur propriété. Par exemple, les portefeuilles d’actions d’entreprises de la Caisse de dépôt et du Fonds de solidarité appartiennent aux travailleurs qui en reçoivent les dividendes.

Il faut faire une distinction entre le court terme et le long terme dans la création de richesse. Dans une phase de création accélérée de richesse, la distribution devient temporairement plus inégalitaire avant de redevenir plus égalitaire. La nouvelle richesse est accaparée au départ surtout par ceux qui sont au premier chef responsables de sa création. Ensuite, la restructuration et la réorganisation des activités économiques qui s’ensuivent augmentent la productivité des ressources humaines et favorisent une distribution plus égalitaire de la richesse. Enfin, la modification de la qualité des ressources humaines due au développement et à l’acquisition de nouvelles compétences augmente encore davantage la productivité, favorisant ainsi une répartition encore plus égalitaire.

Il existe un niveau d’inégalité dans la répartition des revenus ou de la richesse qui favorise le mieux-être de tous et ce, pour deux raisons. D’abord, les incitations à la créativité, à l’innovation et à l’entrepreneuriat sont un facteur primordial et essentiel au développement économique. Elles proviennent en très grande partie du fait que les fruits de ces talents et compétences pourront être accaparés dans le court terme par ceux qui en sont directement responsables, à savoir les créateurs, innovateurs et entrepreneurs. C’est ce qui fonde la protection de la propriété et de la propriété intellectuelle en particulier, entre autres sous forme de brevets et de droits d’auteur. Ensuite, pour mettre à profit les créations et innovations, il faut des ressources humaines de formation et de compétence supérieures. Dans une phase de création accélérée de richesse telle que celle qu’on vit présentement, la pression sur ces ressources en fait augmenter la valeur comparativement à celle des ressources humaines de base, moins formées et moins compétentes dans la valorisation des nouvelles formes et technologies de production et d’organisation. C’est là un incitatif puissant pour l’acquisition de ces compétences.

Ce phénomène suggère fortement que la redistribution de la richesse ne peut se faire de manière efficace et durable que par l’adaptation du portefeuille de compétences des individus afin d’en augmenter la valeur sur les marchés, donc pour leurs concitoyens. C’est en se donnant des institutions et des mécanismes pour favoriser cette adaptation continuelle, rapide et ordonnée des portefeuilles de compétences que les individus et leurs gouvernements pourront au mieux allier correctement création de richesse et redistribution responsable et incitative des revenus. La meilleure façon de redistribuer la richesse, c’est de favoriser la participation de tous et chacun à sa création.

Marcel Boyer est vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal.

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