Débat: taux unique d’imposition?
La déclaration de revenus doit-elle servir à mieux répartir la richesse?
Maxime Bernier: «Non. Actuellement, comme on utilise le système fiscal pour redistribuer la richesse, on crée une déclaration de revenus complexe, avec de nombreux crédits et déductions. Un contribuable devrait être capable de remplir sa déclaration sans recourir à un spécialiste. Le but du système fiscal n’est pas de redistribuer la richesse, mais plutôt d’amasser de l’argent. La redistribution doit se faire par des programmes sociaux. C’est d’ailleurs le constat qu’a fait l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans une étude sur le Canada.»
Nicolas Marceau: «Oui. Si la plupart des gestes posés par un gouvernement ont des conséquences de redistribution, particulièrement en éducation et en santé, l’impôt sur le revenu des particuliers est le seul outil de récolte d’argent réellement progressif, car il permet d’identifier le contribuable et d’agir en fonction de son revenu pour redistribuer la richesse. La plupart des outils de récolte d’argent ne sont pas progressifs, par exemple les taxes à la consommation. On ne peut pas taxer certains biens plus fortement pour les gens riches que pour les gens pauvres.»
Discriminatoire, le taux progressif?
Maxime Bernier: «Dans notre système fiscal, on crée des iniquités et de la discrimination envers ceux qui gagnent plus d’argent. Un taux unique d’imposition est un moyen d’atteindre une société plus respectueuse des droits de la personne et de leur égalité devant la loi. Selon les opposants au taux unique, les sacrifices des plus fortunés devraient être plus grands, car ils peuvent se permettre des biens de luxe, alors que les pauvres ont besoin de leur argent pour leurs besoins de base. Or, on ne peut pas comparer scientifiquement les sacrifices que font les individus. C’est une mesure arbitraire. La personne qui gagne 100 000 $ ne dépense pas nécessairement son argent en biens de luxe, elle en donne peut-être à ses proches.»
Nicolas Marceau: «Alors que la valeur monétaire d’un dollar est la même pour tous, on considère généralement qu’un dollar a plus de valeur pour quelqu’un qui a de la difficulté à se nourrir que pour un millionnaire. Or, quand on prend un dollar au riche et qu’on le donne au pauvre en disant qu’un dollar vaut plus dans la main du second que du premier, on pose un jugement de valeur, on discrimine. Toute la théorie économique sur laquelle on s’appuie pour prendre une foule de décisions gouvernementales est basée sur cette hypothèse. C’est une idée autour de laquelle il y a un vaste consensus.»
Un taux unique pour encourager le développement économique?
Maxime Bernier: «Dans plusieurs cas, par exemple à Hong Kong, l’arrivée d’un taux unique d’imposition était accompagnée d’une baisse globale de l’impôt sur le revenu. Lorsqu’on abaisse les taux, on pense qu’on va abaisser les revenus de l’État, ce qui n’est pas le cas. Ces études ont démontré que le président des États-Unis, John F. Kennedy, en diminuant les taux d’imposition a augmenté les revenus du gouvernement. Avec un taux d’imposition unique plus bas, on fait en sorte qu’il y ait moins de travail au noir et moins d’évasion fiscale. Aussi, les gens qui paient moins d’impôt sont portés à travailler plus. Un fardeau fiscal moindre favorise la croissance économique.»
Nicolas Marceau: «Les régions qui taxent moins ont tendance à croître plus et vice-versa. La mise en place d’un taux unique ne veut pas dire baisser les impôts. Ça veut dire passer d’une structure à trois taux à une structure à un taux, par exemple. Je ne pense pas que le taux unique soit à la source de la bonne performance des pays où il a été établi. Je pense que c’est le fait que le taux soit plus bas. Si on baisse le taux, on agrandit l’assiette fiscale car plus de gens travaillent, mais ça se fait au prix d’une richesse moins bien distribuée, d’une réduction dans l’équité.»
Maxime Bernier est avocat, auteur du livre Pour un taux unique d’imposition (Les Éditions Varia, 2003) et chercheur associé à l’IEDM
Nicolas Marceau est professeur au Département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal
Propos recueillis par Frédéric Perron