Uber contre le lobby du taxi
Ça se passe en France, au 19e siècle. Un jour, les fabricants de chandelles déposent une pétition à la chambre des députés. Leur exigence : qu'on ordonne la fermeture des fenêtres par lesquelles la lumière du jour entre dans les maisons. L’État, disent-ils, doit les protéger de la compétition ruineuse d'un rival plus performant qu'eux : le soleil…
Par cette boutade, l’économiste Frédéric Bastiat voulait démontrer que les partisans de l'intervention de l'État dans l'économie ont souvent pour but premier de préserver les avantages d’un groupe particulier. Malheureusement, cette habitude persiste. Même ici à Montréal.
Uber, notamment, fait peur à l'industrie du taxi. Ce service citoyen permet aux chauffeurs de taxi de trouver des clients plus rapidement et, à d’autres, d’offrir ce service lorsqu’ils ont des heures disponibles. Des gens d’horizons divers offrent ce service à temps partiel pour arrondir leurs fins de mois, ou à la suite d’une perte d’emploi. Certains le font à temps plein, dont plusieurs chauffeurs de taxi.
Sauf que le lobby de l’industrie du taxi déploie des efforts pour nuire à Uber, et ça semble fonctionner. Le ministre des Transports affirmait cette semaine qu’il ira jusqu’à faire saisir les voitures des chauffeurs d'UberX (un service similaire) circulant à Montréal, qualifiant ce service de transport « illégal ».
On peut comprendre l’industrie d’être nerveuse : les usagers d’Uber (et UberX) profitent de trajets beaucoup moins chers que le taxi. Ils ont plus de choix, et obtiennent un meilleur service. Tout ça de façon simple, à partir de leur téléphone intelligent. En plus, c’est bon pour l’environnement. Uber encourage les consommateurs à abandonner l’automobile pour faire du covoiturage, ce qui aide à réduire d’environ 40 % le nombre total de kilomètres parcourus, la fréquence des embouteillages et les émissions polluantes.
Voilà donc une innovation utile pour les consommateurs – comme en témoignent les dizaines de milliers d’usagers qui utilisent Uber à toutes les semaines à Montréal –, bonne pour l’environnement et qui, pour faire changement, n’impose pas une nouvelle taxe aux contribuables!
Contre la volonté des consommateurs
Mais les lobbies de l’industrie du taxi crient à la concurrence déloyale. Et le gouvernement préfère écouter lobbys qu’écouter les consommateurs. Ces derniers souhaitent pourtant utiliser Uber, tout comme des centaines de milliers d’usagers dans 250 villes à travers le monde où ce service est présent.
C’est pourtant un combat perdu d'avance (comme la plupart des combats contre de nouvelles technologies). Le premier ministre Couillard lui-même a déjà dit que vouloir résister aux phénomènes numériques équivaudrait, pour le Québec, à tenter de se mettre dans le milieu du Saint-Laurent pour en arrêter les flots. Et que des services comme Uber, ou même Netflix pour la vidéo, sont des phénomènes de société irréversibles. Peut-être le premier ministre et le ministre des transports devraient-ils se parler?
Compenser les chauffeurs
En ce moment, il est impossible d’entrer dans l’industrie du taxi sans acquérir un permis ou en louer un d’une personne qui en est détentrice. À Montréal, le prix d’un tel permis est d’environ 200 000 $. La popularité des applications de covoiturage comme Uber fait diminuer la valeur de ces permis, et cela représente un réel problème pour les chauffeurs de taxi qui comptent sur leur permis pour garantir leurs vieux jours.
Mais la solution n’est pas d’empêcher le progrès. L’IEDM proposait plutôt, dans une publication récente, d’indemniser partiellement les chauffeurs de taxis dont la valeur des permis diminuerait (par exemple en en fonction du montant original payé par el détenteur du permis, la durée pendant laquelle il l’a détenu, etc.) Non seulement cela réduirait l’opposition à l’innovation que représente Uber, mais cela aurait aussi comme effet d’éviter aux plus jeunes qui tentent de percer dans l’industrie d’être accablés d’une lourde dette, et leur permettrait d’être plus compétitifs.
L’industrie du taxi se transforme sous nos yeux grâce à la technologie. Les gouvernements peuvent prendre des mesures pour éviter de faire des détenteurs de permis des laissés-pour-compte, mais ils doivent avant tout tenir compte des bénéfices que ces entreprises innovantes produisent pour l’ensemble des citoyens.
Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this column are his own.