Quelques mythes sur l’expansion de la banlieue
Bonjour à tous,
Mon nom est Pierre Desrochers. Je suis directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal (IEDM), un institut de recherche et d’éducation indépendant, non partisan et sans but lucratif.
Je vous remercie de m’avoir invité à vous parler brièvement du point de vue des défenseurs de la banlieue. S’il ne me sera pas possible d’entrer dans le détail de leurs arguments, je vous invite à consulter notre site web pour en apprendre davantage à leur sujet (voir L’étalement urbain est-il une catastrophe écologique et économique?)
Le Lone Mountain Compact
Le manifeste du Congress for a New Urbanism est connu sous le nom des «Ahwahnee Principles» (il y a en 24), car il a été adopté à l’hôtel Ahwahnee dans le parc national de Yosemite en 1992.
Ces principes ne font toutefois pas l’unanimité et un groupe grandissant de chercheurs les ont remis en question. Un certain nombre d’entre eux se sont réunis au Lone Mountain Ranch de Big Sky (Montana) à l’été 2001, où ils ont adopté un manifeste en 10 points, le «Lone Mountain Compact» (LMC).
La vision du développement urbain qui sous-tend le LMC s’inspire de la théorie de l’ordre spontané de l’économiste et philosophe Friedrich Hayek. En résumé, ces chercheurs soutiennent que la croissance urbaine est le résultat d’une longue série de processus évolutifs qui ont leur logique propre et qu’une planification trop rigide aura, à l’instar de ce que l’on a observé dans le domaine économique, des conséquences inattendues qui seront essentiellement négatives.
Historiquement, la croissance économique s’est toujours traduite par une augmentation de la taille des villes et de l’espace vital des individus. Ces processus sont aujourd’hui soutenus par deux préférences très fortes chez la vaste majorité de nos concitoyens: 1) l’utilisation de l’automobile comme principal mode de transport; 2) la maison unifamiliale comme mode de résidence privilégié. Selon les auteurs du LMC, les stratégies de planification qui ne tiennent pas compte de ces processus fondamentaux, aussi bien intentionnés soient-il, n’atteindront jamais leurs objectifs.
En gros, les auteurs du LMC s’insurge contre le discours sur l’étalement urbain dans la mesure où: 1) l’on n’y définit jamais de manière précise la densité requise pour qualifier le développement urbain de «durable»; 2) l’on accuse le marché de toute sorte de défaillance, mais sans les prouver et sans jamais mentionner les problèmes importants de la planification centralisée.
Selon eux, la seule véritable cible des tenants de la «croissance intelligente» (smart growth) est l’automobile. Or l’automobile présente selon eux plus d’avantages que d’inconvénients.
Examinons maintenant les 10 points du LMC (mais pas nécessairement dans l’ordre):
1. Le principe fondamental d’une société libre est que, en l’absence d’une menace matérielle («material threat») pour les autres individus ou pour leur communauté, les individus devraient avoir le droit de vivre et de travailler où et comme ils l’entendent.
2. Les décisions d’aménagement doivent être basées sur des faits plutôt que des perceptions.
Quelques faits:
La disparition de la zone verte
La forêt ne cesse de croître dans les économies développées depuis plusieurs décennies.
On a fait beaucoup de cas de la disparition de 1 ou 2% des boisés sur la Rive-sud de Montréal. Par contre, le couvert forestier du Vermont est passé de 37% de la superficie de cet État en 1850 à 77% aujourd’hui et celui du New Hampshire, de 50% à 87%. Au Canada, les forêts ont progressé de près de 9 000 kilomètres carrés entre 1990 et 1995.
Ces résultats s’expliquent surtout par l’élimination des animaux de trait au profit de l’automobile et d’autres machines (en 1910, environ 25% de la superficie agricole des États-Unis était consacrée à la nourriture de ces animaux), des hausses de productivité qui permettent de produire beaucoup plus de nourriture sur une même superficie et le développement de produits substituts (les poutres d’acier remplacent les poutres de bois dans la construction domiciliaire).
La pollution
Malgré l’augmentation du nombre de voitures, on observe simultanément une amélioration continue de la qualité de l’air dans nos villes qui s’explique en bonne partie par les améliorations techniques importantes qui ont été apportées aux automobiles. À taille comparable, une automobile de 2002 produit moins de 1% de la pollution d’une automobile de 1970 en fonction de la distance parcourue.
Paradoxalement, les mesures de densification forcée autour de certaines villes peuvent avoir un impact négatif à ce niveau, car elles ne diminuent pas le nombre de véhicules et augmentent le nombre de «départs-arrêts».
La congestion routière
L’expansion du périmètre urbanisé ne s’est pas traduite par une hausse du temps moyen requis par les Nord-Américains pour faire la navette entre leur domicile et leur lieu de travail pour deux raisons.
Premièrement, plusieurs entreprises se sont relocalisées près du domicile banlieusard de leurs employés. Deuxièmement – et paradoxalement – bon nombre de personnes utilisent maintenant l’automobile plutôt que le transport en commun pour se rendre à leur lieu de travail banlieusard, ce qui réduit souvent de façon substantielle la durée de leurs déplacements.
Les infrastructures
Il serait faux de croire qu’à long terme l’étalement urbain entraîne des déboursés supplémentaires substantiels, car les coûts d’opération et d’entretien des infrastructures sont beaucoup plus élevés en milieu urbain qu’en banlieue.
Plusieurs intervenants soutiennent que les banlieusards ne paient pas suffisamment de taxes municipales pour couvrir le coût des services qu’ils consomment en ville. Ceci est par contre tout aussi vrai pour les citadins. Dans les deux cas, la différence est couverte par les taxes sur les immeubles non résidentiels.
Le transport en commun
Malgré des subventions par déplacement beaucoup plus importantes que le transport automobile, le transport en commun ne peut tout simplement pas rivaliser avec la flexibilité de l’automobile. Et les gens sont prêts à payer pour cette flexibilité.
Le transport en commun n’est vraiment efficace que pour desservir une zone restreinte au centre-ville, tandis que la majorité des nouveaux emplois sont créés dans les banlieues. De plus, seulement 20% des déplacements seraient directement reliés au travail, le reste étant attribuable aux emplettes et aux activités sociales qui sont bien mieux desservies par les automobiles.
Les données américaines indiquent également que les trains de banlieue ne font jamais leurs frais et qu’UNE nouvelle voie autoroutière (je précise, pas une nouvelle autoroute, mais une voie sur une nouvelle autoroute) transporte en moyenne quatre ou cinq fois plus d’usagers quotidiennement que les trains de banlieue les plus achalandés. Il serait donc beaucoup plus efficace et moins coûteux d’investir dans la construction de nouvelles routes et dans le transport par autobus que dans les trains de banlieue.
Les villes les plus denses ont nécessairement une forme urbaine compacte
La ville américaine la plus dense (centre-ville et banlieue) est… Los Angeles. Ceci s’explique principalement par la plus petite dimension des terrains, le nombre d’habitants par maison plus élevé qu’ailleurs et la présence de plusieurs grands immeubles à appartements à travers la région métropolitaine. (Montréal et Toronto sont toutefois plus dense que Los Angeles.)
3. La planification centralisée pour déterminer le menu détail de la forme et de la structure des quartiers et sous-division d’une ville doit être évitée.
La structure rigide de la planification centralisée est un carcan inutile à l’évolution spontanée des quartier et des villes.
4. La densité et l’utilisation des sols doivent être déterminées par le marché et non par la planification.
La coordination par le marché a prouvé sa supériorité sur la planification centralisée pour faire un usage efficace des ressources disponibles (effondrement des régimes communistes d’Europe de l’est).
La coordination par le marché réussit de façon généralement satisfaisante à utiliser de façon efficace l’espace urbain en fonction des besoins particuliers à un moment donné. Rien n’indique que la planification centralisée fonctionne mieux dans ce domaine que dans les autres secteurs économiques où elle a échoué. (Los Angeles vs Portland. Los Angeles a une densité de population beaucoup plus élevée, la propriété y est beaucoup plus abordable, LA consomme moins de nouveau territoire pour son développement, les niveaux d’utilisation du transport en commun y sont similaires, etc.).
5. Les règlements de zonage doivent être flexibles.
Le Congress for New Urbanism dénonce la rigidité des règlements de zonage traditionnels. Ses membre souhaitent toutefois les remplacer par d’autres codes tout aussi rigides.
Mieux vaut simplifier les règlements de zonage (ou les abolir) pour faciliter l’innovation, la ré-utilisation des immeubles existants, les développements à forte densité et les développements à faible densité.
6. Les décisions sur le développement des quartiers doivent être aussi décentralisées que possible.
Les associations de quartier ou les regroupements privés sont en meilleure position que les gens plus loin du terrain pour prendre les meilleures décisions. Les grands plans d’ensemble imposent des contraintes plus lourdes que nécessaire pour les problèmes qui sont à une échelle plus petite. Bureaucratie étouffante.
7. Les règlements et les procédures d’urbanisme doivent reconnaître les droits de propriété privés comme un élément fondamental des mesures de contrôle du développement.
Problème du zonage est qu’il conduit typiquement à des demandes de NIMBY (Not in my backyard) de groupes qui n’ont pas à supporter les véritables coûts de ces mesures. Les droits de propriété préviennent les abus, mais ne sont pas biaisés contre les bénéficiaires potentiels (condos sur le Plateau Mont-Royal, boisé de Pierrefonds, etc.).
Ce qui nous amène au point suivant:
8. Les droits des résidents actuels ne doivent pas avoir préséance sur les droits des résidents futurs.
On comprend la volonté des résidents actuels de vouloir préserver leur qualité de vie. Il ne faut toutefois pas évacuer complètement les considérations de qualité des résidents potentiels présents et futurs.
9. Les mesures restrictives doivent être évaluées en fonction des coûts qu’elles occasionnent pour les ménages plus pauvres.
Les mesures de densification forcée font augmenter les coûts de propriété, ce qui pénalise évidemment les ménages à plus faibles revenus. (Portland était l’un des marchés résidentiels les plus abordables il y a 20 ans. La ville est aujourd’hui l’un des plus dispendieux.)
10. Les stratégies de transport doivent reposer sur les mécanismes de marché.
1) Le transport en commun, et plus particulièrement les trains de banlieue, n’ont pas la flexibilité requise pour répondre au développement multipolaires des villes modernes.
2) La majorité des gens préfèrent leur automobile et sont prêts à en assumer les coûts.
La préférence très nette pour l’automobile requiert plutôt l’usage de mécanismes de marché (tarification des routes selon l’heure, HOT lanes – high occupancy toll lanes et non pas HOV – High occupancy vehicle lanes).
De plus, il serait temps que les automobilistes québécois en reçoivent davantage pour leurs taxes en termes de construction et d’entretien des routes.
Conclusion
Certaines villes américaines ont instauré des mesures drastiques pour contrer l’expansion de la banlieue depuis suffisamment longtemps pour que l’on soit en mesure d’en évaluer l’inefficacité. De même, les mesures beaucoup plus drastiques qui ont été adoptées en Europe depuis plusieurs décennies n’ont pas empêché le développement de la banlieue et l’utilisation grandissante de l’automobile.
Le cas de Montréal est néanmoins intéressant. Selon certaines mesures, notre ville est la plus dense d’Amérique et, selon le dernier recensement, sa population augmente. Nous jouissons en plus d’une qualité de vie très intéressante, qui s’explique en bonne partie selon moi parce que le zonage résidentiel y a été beaucoup moins restrictif qu’ailleurs dans le passé.
Il est vrai que malgré tout le coeur de Montréal fait face à certaines difficultés, mais la solution à ces problèmes passe bien plus par une diminution du fardeau fiscal et réglementaire des Montréalais et par le relâchement des contraintes au développement résidentiel sur l’île que par un train de mesures coûteuses pour contrer l’expansion de la banlieue.
Je terminerai avec cette citation de l’un des journalistes spécialisés en environnement les plus connus de la planète, Gregg Easterbrook: «Sprawl is caused by population growth and affluence – and which of these, precisely, do you propose to ban?»
M. Pierre Desrochers is Research Director at the MEI.