La vache sacrée
Le gouvernement du Québec a entrepris il a deux semaines une consultation sur sa politique énergétique qui se poursuivra en janvier. Il serait grandement utile que ces débats mènent à une remise en question d’une idée largement répandue, qui est que moins les prix de l’électricité sont élevés pour les consommateurs, plus cela est bénéfique pour l’économie du Québec. La faiblesse de ces prix, de même que l’interfinancement au profit du secteur domestique, ne doivent pas devenir de nouvelles vaches sacrées, comme l’est devenu le gel des frais de scolarité universitaires.
Nous payons déjà les tarifs d’électricité les moins élevés en Amérique du Nord. L’indice des prix à la consommation ayant progressé de 11,8% entre 1999 et 2004, et les tarifs de seulement 4,45% pour la même période, les Québécois paient même, en dollars constants, moins cher leur électricité aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Nous souhaitons bien sûr tous jouir des meilleurs rabais pour ce que nous consommons, mais il faut être conscient des effets pervers qu’entraînent des prix artificiellement bas.
Les prix jouent en effet un rôle central dans une économie de marché. Leur niveau constitue des signaux pour les acheteurs et les vendeurs et guide l’allocation des ressources. Lorsque les prix reflètent les coûts, les consommateurs allouent leur budget de façon optimale, tandis que les producteurs investissent dans les projets les plus lucratifs pour accroître l’offre. En l’absence de prix fondés sur la vérité des coûts, la consommation peut toutefois diverger de la quantité optimale.
L’actuelle grille tarifaire d’Hydro-Québec favorise les consommateurs domestiques (tarif D) aux dépens des autres catégories de consommateurs, et en particulier des petites et moyennes entreprises les plus créatrices d’emplois. Cette politique d’interfinancement a pour effet de réduire le tarif D à un niveau tel que le revenu perçu ne couvre que 82% du revenu qui serait requis pour couvrir le coût du service domestique.
En contrepartie, les autres clients, comme les industries, les commerces et les institutions, doivent payer des tarifs permettant de percevoir entre 115% et 129% du revenu requis.
Cette forme de redistribution n’incite pas les propriétaires de maisons et d’immeubles à économiser de l’énergie, en isolant mieux ou en installant des thermostats électroniques par exemple. Hydro-Québec se voit donc pressée de subventionner les comportements souhaités. Le coût de ces subventions est cependant refilé à l’ensemble des clients par l’entremise de hausses tarifaires.
Comme la société d’État a l’obligation d’alimenter tout client établi au Québec, la surconsommation entraîne aussi un surdimensionnement des infrastructures qui fait grimper les coûts de production. Rien n’est gratuit dans ce bas monde, les coûts finissent toujours par nous rattraper, y compris ceux d’une ressource qu’on a gaspillée en croyant à tort qu’elle ne valait pas si cher.
Si l’on ajoute les frais de transport (1,4 ¢/kWh) et de distribution (1,3 ¢/kWh) au coût des nouveaux approvisionnements en électricité (6,5 ¢/ kWh), on arrive à un coût marginal (c’est-à-dire le coût d’une unité additionnelle d’électricité livrée au consommateur) total d’environ 9,2 ¢/kWh.
Or, les tarifs d’électricité pour les clients résidentiels (6,3 ¢/kWh) sont basés sur le coût moyen de production, lequel reflète celui du parc de production existant, déjà largement amorti.
Pour mettre fin aux effets pervers de la politique actuelle, les prix de l’électricité devraient donc se rapprocher graduellement des véritables coûts marginaux à long terme, afin qu’ils puissent mieux jouer leur rôle de guide dans l’allocation des ressources.
Paul Daniel Muller Associate Researcher at the MEI.