Des déficits ou des oléoducs?
De Vancouver aux provinces atlantiques, le Canada est sillonné de 73 000 kilomètres d’oléoducs pétroliers et gaziers sous la supervision de l’Office national de l’énergie, assez pour faire le tour de la Terre environ deux fois. De toute évidence, les Canadiens ont de l’expertise dans le domaine.
À première vue, on peut être déconcerté par l’opposition à laquelle sont confrontés les quatre projets qui font l’objet d’une étude : Énergie Est, Northern Gateway, Trans Mountain et Keystone XL. Cette opposition n’est cependant pas étonnante considérant que ces projets traversent des milliers de municipalités et communautés autochtones.
Il serait cependant trompeur de seulement considérer les coûts et bénéfices sur le plan local. En effet, aucune communauté traversée par un oléoduc, outre celles où il y a des raffineries qui bénéficient du contenu de ces oléoducs, ne verra de retombées économiques lorsque la phase de construction sera terminée.
Néanmoins, ce fait n’empêche pas d’aussi larges projets d’apporter des retombées économiques dans une perspective pancanadienne.
Au total, ces projets d’oléoducs représentent des investissements considérables allant jusqu’à 34 milliards, en excluant le projet Keystone XL qui est situé majoritairement aux États-Unis. L’avantage principal des oléoducs demeure une ouverture aux marchés mondiaux pour le pétrole des Prairies, permettant aux producteurs d’obtenir un prix plus élevé pour leur production que ce qu’ils obtiennent en ce moment.
Tant et aussi longtemps que les États-Unis resteront l’unique marché d’exportation pour le pétrole canadien, ce secteur dépendra d’un marché qui lui-même produit de plus en plus d’hydrocarbures. Le différentiel de prix pour un baril de pétrole sur le marché américain interne comparativement au marché mondial entraîne une perte de revenus pour les gouvernements en plus d’une perte pour l’économie canadienne qui peut être évaluée à 13,5 milliards annuellement.
Pendant que ces projets d’oléoducs sont devant de nombreux obstacles, le gouvernement fédéral a décidé d’enregistrer un déficit d’environ 30 milliards dans l’espoir de stimuler l’économie. En fait, seule une partie infime de cette somme (3,97 milliards) est réservée à de nouvelles dépenses d’infrastructure. Pourtant, l’enjeu important lorsqu’on compare les projets d’investissement publics et privés ne se situe pas au chapitre des sommes en jeu, mais bien de leurs impacts économiques, qui diffèrent pour quatre raisons principales.
Premièrement, la création de richesse est la raison d’être des investissements privés. Les investissements publics, pour leur part, visent surtout à remplir les promesses de création d’emplois, et leur objectif est en premier lieu politique.
Deuxièmement, les projets d’investissements d’infrastructures publiques vont régulièrement connaître des problèmes comme des dépassements de coûts et des délais. Ce type de risque est implicitement porté par les contribuables.
Troisièmement, les infrastructures publiques sont financées soit par une augmentation du fardeau fiscal des Canadiens, soit par une augmentation de la dette publique qui est soutenue par les contribuables. En revanche, les investissements privés ne requièrent pas de revenus de taxes puisqu’ils sont financés par les fonds d’entreprises privées. De plus, l’activité économique générée par ces investissements augmentera les recettes fiscales des gouvernements.
Quatrièmement, les résultats empiriques des États-Unis montrent qu’après 10 ans, les stimuli économiques n’ont pas d’effet permanent sur la productivité. En revanche, lorsque le gouvernement n’est pas en concurrence avec le secteur privé pour le recrutement de travailleurs et l’utilisation de capital, les investissements privés prennent le relais. En effet, la recherche économique montre qu’une réduction des dépenses publiques a des effets positifs sur la croissance économique, par exemple dans une étude du Canada des années 90 réalisée par l’économiste réputé Alberto Alesina et deux de ses collègues de Harvard.
L’investissement privé est donc manifestement préférable aux dépenses publiques lorsque vient le temps de stimuler l’économie. Les projets d’oléoducs, en particulier, représentent des avantages économiques significatifs lorsqu’ils sont considérés dans une perspective pancanadienne, et non seulement en termes locaux.
Justin Trudeau a reconnu que les oléoducs sont la façon la plus sûre de transporter les hydrocarbures et a déclaré qu’assurer l’accès au marché pour les ressources canadiennes est une des fonctions les plus importantes pour un premier ministre. Une réglementation intelligente avec des délais prévisibles et des définitions claires des autorités fédérales, provinciales et municipales contribueraient grandement à réduire l’incertitude pour les investissements privés bénéfiques tels que les projets d’oléoducs.
The Honourable Joe Oliver is a Distinguished Senior Fellow at the MEI, and Youri Chassin, an Economist and Research Director at the MEI. They are co-authors of The Most Efficient Way to Stimulate the Economy: Private Pipelines or Public Infrastructure? and the views reflected in this op-ed are their own.