Wal-Mart-«la-méchante»? – L’entreprise est présentement la tête de Turc de tous les intellectuels à la mode
Il est facile d’attaquer Wal-Mart, et il n’y a pas un critique de la libre entreprise qui ne s’en donne à coeur joie. L’entreprise est la tête de Turc de tous les intellectuels à la mode. Même un éditorialiste de La Presse s’y est laissé prendre dimanche dernier.
Je crois qu’il faut se garder de deux dangers.
Premièrement, même si on n’aime pas Wal-Mart, le tableau n’est pas tout à fait noir. Par exemple, la plupart des données publiées par l’éditorialiste de La Presse comparant Wall-Mart-la-méchante et Costco-le-bon étaient tirées d’un article du Wall Street Journal mais négligeaient les éléments positifs présentés dans ce même article. Wal-Mart est très profitable, alors que Costco inquiète les investisseurs. Sam’s Club, l’équivalent de Costco chez Wal-Mart, sert une clientèle moins haut de gamme que son concurrent.
Wal-Mart est le plus gros créateur d’emplois aux États-Unis et y créé environ 99 000 nouveaux emplois l’an dernier, alors que l’emploi demeurait à peu près stable chez Costco. L’entreprise a fait son entrée au Canada en 1994, en achetant 122 Woolco; elle possède maintenant 236 magasins et emploie 62 000 personnes dans notre pays. Le commerce de détail est une industrie très compétitive, comme l’illustrent les faibles marges après impôt qui y règnent, soit 3,5% pour Wal-Mart et 1,7% pour Costco.
Wal-Mart cherche continuellement à réduire ses coûts afin de faire profiter les consommateurs de prix plus compétitifs et d’accroître sa part de marché. Costco se vante d’offrir les meilleures rémunérations de l’industrie, mais elle embauche moins. De plus, la compagnie se plaint de l’explosion des ses coûts de main-d’oeuvre, surtout parmi son personnel syndiqué de Californie. Wal-Mart pourrait augmenter significativement la rémunération, mais le rendement offert aux investisseurs de même que les emplois qui en découlent seraient fragilisés.
Deuxième danger: il est facile de répéter que Wal-Mart «entraîne vers le bas» les conditions de travail, mais cela ne veut pas dire grand-chose économiquement. Pourquoi n’est-ce pas Costco qui les entraînerait à la hausse? Wal-Mart se situe vraisemblablement dans la moyenne de l’industrie. Si elle payait des salaires sans relation avec les conditions du marché, elle ne trouverait pas suffisamment d’employés. Et n’est-il pas mieux d’avoir un emploi moins bien payé que de n’en pas avoir du tout? La solidité financière de Wal-Mart ne constitue-t-elle pas un avantage pour la sécurité de l’employé? Enfin, les rémunérations seraient-elles plus élevées s’il n’y avait pas de concurrence – comme dans les anciens pays communistes?
Costco paie davantage justement parce qu’elle est en concurrence avec d’autres entreprises (dont Wal-Mart) et qu’elle croit pouvoir ainsi attirer et conserver le meilleur personnel, et augmenter ainsi ses propres profits. Seul l’avenir dira quelle est la meilleure stratégie, celle de Costco ou celle de Wal-Mart, ou si chacune est bien adaptée aux conditions particulières de chaque entreprise.
Wal-Mart est une entreprise énorme, la plus grande au monde selon les ventes, soit 259 milliards de dollars US par année, dont 41 milliards hors USA (surtout en Angleterre, au Canada et au Mexique). Wal-Mart emploie 1,5 million de personnes dans 11 pays. Mais ce succès n’est pas un défaut, et il ne faut pas voir des dangers où il n’y en a pas. Les profits mondiaux de Wal-Mart (US$14 milliards) n’équivalent quand même qu’à 1% de l’ensemble des profits dans l’économie américaine; et sa capitalisation boursière, à 0,6% de la capitalisation totale des sociétés cotées aux U. S. A. Le budget du seul ministère américain de la santé («Health and Human Services») est deux fois plus élevé que les ventes mondiales de Wal-Mart.
Des histoires d’horreur circulent concernant les conditions de travail des sous-traitants de Wal-Mart (et d’autres entreprises) dans des pays sous-développés – la Chine, par exemple. Or, les politiques publiques misent en oeuvre par les États locaux sont souvent les principales responsables des problèmes de pauvreté dans ces pays. Comme le disait justement l’économiste marxiste Joan Robinson, «le malheur d’être exploité par des capitalistes n’est rien comparé au malheur de ne pas être exploité du tout».
Enfin, et surtout, aucun consommateur n’est obligé d’aller faire ses emplettes chez Wal-Mart, et personne n’est obligé d’y travailler. Le fait qu’un grand nombre de personnes choisissent librement de le faire montre que cette entreprise joue un rôle utile.
Michel Kelly-Gagnon is President of the Montreal Economic Institute.